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On poursuit, depuis plusieurs années, la publication d’un livre qui deviendra le manuel de nos agriculteurs, s’ils tiennent compte d’une savante méthode et d’une rare érudition : c’est le Cours d’Agriculture de M. de Gasparin[1]. Dans cette encyclopédie agronomique, on distingue un ample chapitre intitulé : Des Forces motrices ; il est subdivisé en sections ainsi dénommées : « Travail du vent, — de l’eau courante, — de la vapeur, — de l’homme, — du cheval, mulet, bœuf, âne. » J’aime à m’éclairer sur cette force qu’on appelle l’homme. Après un anathème religieux lancé en passant contre l’esclavage des nègres, l’auteur, arrivant au travail libre, se demande dans quelles limites les agriculteurs doivent renfermer le salaire de l’ouvrier rural. «Si, dit-il, le prix que l’homme reçoit pour son travail n’était pas suffisant pour son entretien et celui de sa famille, il y aurait souffrance, dépérissement de forces, maladies, et enfin réduction du nombre des travailleurs ; » mais, ajoute-t-il, « si ce prix excédait le taux nécessaire à l’entretien de la famille de l’ouvrier, celui-ci capitaliserait, et ne tarderait pas à devenir propriétaire : la grande propriété se dissoudrait par l’action combinée de la concurrence des acheteurs et de la rareté toujours plus grande des bras salariés. » Voilà donc le problème encore posé, au XIXe siècle, comme eût fait Varron ou Caton l’Ancien. Après bien des supputations, on arrive à ce point : nourriture de la famille, homme, femme et trois enfans, alimens divers évalués à la représentation de 4 kilogrammes 25 grammes de blé par jour, à 22 francs l’hectolitre, soit 478 fr. 39 cent, pour l’année. Les autres besoins sont appréciés en ces termes : « Ayant étudié un assez grand nombre de familles agricoles en France, nous avons trouvé que la moyenne de la dépense de leur logement était de 30 francs par an, que l’habillement coûtait 35 francs pour l’homme seul, et 100 francs pour le ménage complet ; le combustible et l’éclairage, 40 francs ; les outils, ustensiles et dépenses imprévues, absorbent la somme de 20 francs. » Le budget total d’une famille de cinq personnes est donc porté à 638 fr. 39 cent., soit, par tête, 427 fr. 68 centimes. À ce compte, le paysan mange du pain blanc moins souvent que de la pomme de terre ou de la châtaigne ; il ne boit pas de vin, même dans le midi, si ce n’est pendant les grandes chaleurs ou les travaux exceptionnels. Le lard est la seule viande qu’il goûte de temps en temps, et, s’il lui arrive de mettre la poule au pot, c’est qu’il la juge indigne du marché.

Cette maigre pitance, y a-t-il du moins certitude de la gagner régulièrement ? Le nombre des journées propres au travail des champs étant en moyenne de 241, pour réaliser la somme de 639 francs, il faudrait que le père, la mère et les trois enfans gagnassent 2 fr. 65 cent, par

  1. Librairie agricole, rue Jacob, 26. Le quatrième volume vient de paraître.