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opérations commerciales, prévoit la nécessité de revendre pour réaliser des capitaux, et il stipule qu’en cas de transmission, le bail sera résilié de droit, si l’acquéreur l’exige. Dans ce cas, il y aurait folie de la part du fermier à spéculer sur l’amélioration d’un fonds qui peut lui échapper à toute heure ; il se tient au contraire en mesure de réaliser immédiatement, au risque d’épuiser la terre. Malgré ces inconvéniens, le système des baux personnels et à rentes fixes est encore ce qui réussit le mieux chez nous, après l’exploitation directe du moyen propriétaire : les régions du nord et de l’est où ce mode domine sont incomparablement le mieux cultivées et les plus fécondes.

L’exploitation en régie par des spéculateurs qui se réservent le droit de sous-louer est usitée pour quelques grands domaines dans le centre et le midi. Ce genre de contrat, qui a désolé la malheureuse Irlande, n’a pas en France des effets aussi évidemment désastreux ; toutefois, un grave abus est que le fermier-général et les sous-traitans ont bien plus d’intérêt à épuiser la terre qu’à l’enrichir, parce que cette amélioration, amenant une surenchère, tournerait plutôt au profit du maître qu’au leur.

Le tiers de la France cultivable, 15 millions d’hectares dans le midi, l’ouest et le centre, sont soumis au métayage. Ce triste régime n’est pas, comme on affecte de le dire, une épreuve de l’association ; c’est, au contraire, la lutte sournoise de deux intérêts qui s’accouplent par nécessité. Si le métayer français n’est plus attaché à la glèbe par la force de la loi, comme le colon de la décadence romaine, il y est asservi par la fatalité du fait. Dans les pays de métayage, la liberté de l’ouvrier est sans issue, et la propriété n’est qu’une possession imparfaite. A défaut d’ateliers industriels ou de travail de culture en dehors des métairies où le colon n’emploie que sa famille, il est aussi difficile au métayer congédié de trouver une condition meilleure qu’au maître de se débarrasser d’un mauvais associé.

Dans la culture à moitié fruits, le partage en nature des grandes récoltes, c’est-à-dire des grains, des foins et du vin, est un contrat qui fausse la pondération loyale des valeurs ; il repose sur cette hypothèse que le capital et le travail sont deux agens toujours égaux en puissance. Or, pour ne pas faire pencher la balance au profit de son associé, le capitaliste est économe de ses avances, le laboureur l’est de ses peines. Le propriétaire, ne pouvant prétendre qu’à la moitié de certains fruits, a tendance à exagérer l’étendue qu’il serait convenable de consacrer à la production de ces fruits. Accorder le moins possible aux grandes cultures qui sont matière à partage, se réserver pour certains produits secondaires qu’on ne partage pas, telle est la politique instinctive du métayer. Trop rusé d’ailleurs pour ne pas comprendre qu’il serait congédié si le contingent du maître devenait trop faible, il élargit