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et ces récits, quoiqu’en partie faux ou exagérés, achevaient de détruire la confiance que le peuple avait placée d’abord dans son gouvernement. L’opinion du pays se manifestait en toute occasion, elle empruntait tous les organes dont elle pouvait disposer pour conjurer le gouvernement de se disculper ou de faire justice de ses agens. « Vous ne voulez, lui disait-on, avoir recours qu’à des mesures de confiance pour assurer votre autorité, puisque vous n’ouvrez que des emprunts volontaires ; sachez alors obtenir cette confiance, sans laquelle vous mourrez. » Mais non, le gouvernement ne comprenait pas ce langage, et il mettait une sorte de point d’honneur à ne rien faire de ce qui pouvait lui concilier l’opinion. En attendant, la population hésitait ; elle se demandait si l’argent dont elle faisait hommage à la cause de l’indépendance était employé en effet au service de la patrie ; elle attendait des preuves pour ou contre, et le temps marchait.

La question de l’armement était une des plus difficiles qu’eût à résoudre le gouvernement provisoire. Pour comprendre son attitude touchant cette question, il ne faut pas oublier qu’à partir de la fin d’avril, époque de la maladie du comte Litta, tous les emplois du ministère de la guerre furent entièrement confiés à des Piémontais, qui recevaient leurs inspirations des chefs de l’armée piémontaise. Quant au général en chef Théodore Lecchi, il n’eut jamais aucun véritable pouvoir dans cette administration. Dès le jour de la sortie des Autrichiens, la population entière demanda à marcher. On lui objecta le défaut d’armes, et on lui promit d’y pourvoir promptement. Malgré cette promesse, la garde nationale s’arma lentement, et huit jours avant la capitulation de Milan, lorsque le peuple, ameuté devant le palais Marino, refusait de se retirer, si la levée en masse n’était pas immédiatement décrétée, on lui répondait encore : « Comment voulez-vous qu’on décrète une levée en masse, puisqu’il n’y a pas d’armes dans la ville ? » Cependant, huit jours plus tard, le peuple découvrait soixante-deux mille fusils cachés dans le palais dit du Génie.

Je n’entrerai pas ici dans le détail des négociations manquées, des commandes données et retirées, des mille obstacles qui vinrent sans cesse entraver l’armement et l’habillement des troupes lombardes. Les fabricans d’armes de Brescia avaient offert de livrer cinq cents fusils par semaine au gouvernement : on ne parvint pas à s’entendre. Les fabricans de drap de Como avaient proposé de livrer dans un temps donné un certain nombre de pièces de drap vert pour les troupes : on refusa. Le premier ban publié, les conscrits qui arrivaient des campagnes dans la ville ne trouvèrent ni équipement, ni logement prêt pour les recevoir, et, lorsque les régimens commencèrent enfin à se former, ce fut avec une lenteur et une gaucherie désolantes. Le duc Visconti ayant offert de lever un régiment à ses frais, on lui délivra un brevet de