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qui s’écartent de la vérité au point de la rendre méconnaissable. Comment l’histoire se fera-t-elle ? comment découvrira-t-on, à quelques siècles de distance, la raison et les suites d’événemens présentés sous tant d’aspects divers et dont aucun n’approche du vrai ? C’est afin de donner un récit exact de ces événemens que je prends la plume. Mon témoignage ne sera pas accepté aujourd’hui par tout le monde : ceux surtout auxquels il est peu favorable trouveront commode de le récuser ; mais l’on s’apercevra tôt ou tard que j’ai raconté les faits sans aucune altération et que je n’ai eu pour but, en écrivant, le triomphe d’aucun parti. Il y a un accent de vérité qu’on n’emprunte pas et qui, là où il se trouve, est toujours reconnu.


I.

L’histoire de l’Italie depuis cinq mois comprend deux ordres de faits bien distincts. D’une part, l’attention est attirée par le gouvernement provisoire de Milan, de l’autre, par les opérations de l’armée piémontaise. Il y a là deux centres d’intérêt que nous chercherons à ne pas confondre. Pendant les premiers mois qui suivirent son installation, le gouvernement provisoire de Milan a eu sur les affaires de l’Italie une action qu’il importe d’apprécier ; dans la période plus récente, qui a précédé la capitulation de Milan, l’armée piémontaise apparaît comme le principal acteur. C’est le rôle peu connu du gouvernement milanais que nous voudrions préciser dans la première partie de cette étude.

Au commencement de l’année 1848, le sort de Palerme et de Milan préoccupait surtout les esprits. La première de ces villes essayait de s’arracher au joug d’un gouvernement oppresseur, mais national ; l’autre se préparait à s’affranchir de la tyrannique et cruelle domination de l’étranger. Quant aux autres provinces de l’Italie, elles semblaient marcher à pas lents, mais sûrs, vers un meilleur état de choses. Turin, Florence et Rome poussaient à l’envi leurs gouvernemens dans la voie du progrès, et toute violence nouvelle commise par le roi de Naples ou par l’empereur d’Autriche soulevait partout d’unanimes élans d’indignation.

La révolution milanaise éclata dans la journée du 18 mars. Toutes les villes de la Haute-Italie répondirent à ce signal, et, chassés de tout asile, fuyant devant une population désarmée, mais héroïque, les soldats autrichiens cherchèrent un refuge dans leurs places fortes, disposées à l’avance pour les recevoir. Pendant que Milan livrait bataille dans ses rues, le peuple s’ameutait à Gênes, à Turin, devant les palais du gouverneur et du roi ; il déclarait qu’il voulait se battre, se mettait en marche, et faisait comme une violence morale au roi Charles-Albert pour le décider à la guerre. Le marquis Pareto, de Gênes, venait d’entrer au ministère, et n’avait accepté le portefeuille qu’à la