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en France ont été comparées à celles d’Isabey par des connaisseurs, il se récrie, quoique le compliment l’ait touché au vif : « Isabey est un habile peintre, et je ne suis qu’un jeune croûton ! »

Revenu à Paris après une si longue absence, que devait prolonger encore un voyage en Italie, projet qui ne s’accomplit pas, Marilhat se posa tout de suite au premier rang par son tableau de la Place de l’Eshekieh. Decamps revenait, lui aussi, de son pèlerinage, et lançait, à travers les ruelles crayeuses de Smyrne, cette Patrouille turque qui courait si vite, que son ombre ne pouvait la suivre sur les murailles. La peinture avait ses Orientales comme la poésie.

Une des gloires de Marilhat fut de conserver son originalité en présence de Decamps. Ces deux talens sont des lignes parallèles voisines, il est vrai, mais qui ne se touchent point ; ce que l’un a de plus en fantaisie, l’autre le regagne en caractère. Si la couleur de Decamps est plus phosphorescente, le dessin de Marilhat a plus d’élégance. L’exécution, excellente chez tous deux, l’emporte en finesse chez le peintre enlevé si jeune à sa gloire et au long avenir qui semblait devoir l’attendre.

A la Place de l’Eshekieh succédèrent le Tombeau du scheick Abou-Mandour, la Vallée des Tombeaux à Thèbes, le Jardin de la Mosquée, les Ruines de Balbeck, et d’autres chefs d’œuvre d’une nouveauté, d’un éclat et d’une puissance extraordinaires.

Puis Marilhat fut pris de la maladie du style, maladie que les jeunes paysagistes, revenus dans leurs ateliers, gagnent en regardant les gravures d’après Poussin. La plupart en meurent ou restent malades toute leur vie. Notre Égyptien, habitué aux fléaux, à la peste, au choléra, à la dyssenterie, et d’ailleurs violemment médicamenté par une critique intelligente, survécut et rentra dans sa parfaite santé pittoresque.

Au salon de 1844, qui, si cette expression peut s’étendre à la peinture, fut le chant du cygne de Marilhat, il envoya huit tableaux, huit diamans : un Souvenir des bords du Nil, un Village près de Rosette, une Ville d’Égypte au crépuscule, une Vue prise à Tripoli, un Café sur une route en Syrie, etc.

Le Souvenir des bords du Nil est peut-être le chef-d’œuvre du peintre, nous dirions presque de la peinture. Jamais l’art du paysagiste n’est allé plus haut ni plus loin. C’est si parfait, que le travail n’a laissé aucune trace. Ce tableau semble s’être peint tout seul comme une vue répétée dans une glace. Nous en avons écrit jadis une description que nous reproduisons ici comme prise sur le fait. « Les teintes violettes du soir commencent à se mêler à l’azur limpide du ciel, où la lune se recourbe comme une faucille d’argent. Des tons de turquoise et de citron pâle baignent les dernières bandes de l’horizon, sur lequel se détachent en noir les colonnes sveltes et les élégans chapiteaux d’un bois