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cerveau. Le général Cavaignac n’oubliera pas cependant, nous aimons à le penser, que c’est l’entêtement exclusif de ces téméraires qui précipite les pouvoirs, et que c’est la mollesse timorée de ces pacifiques qui les laisse tomber. Il ne voudra pas qu’il soit dit que son gouvernement emploie, pour s’épargner de petits chagrins, des ressources suprêmes auxquelles il n’est pas bon de toucher, s’il n’y va point d’une grande raison d’état. Ou bien donc il instruira l’assemblée des nécessités toujours imminentes qui l’obligent, en cette affaire, à se priver des armes dont l’assemblée l’a muni pour s’armer de celles qu’elle ne lui a pas si clairement attribuées, ou bien il se convaincra que le légitime usage du droit de discussion, tout en étant quelquefois un obstacle, et même un obstacle salutaire à tel ou tel dessein politique, n’est point par cela seul un complot qu’il faille étouffer quand même dans l’intérêt de la patrie.

Il n’est qu’une explication qui puisse motiver cet acerbe régime auquel le gouvernement a mis la presse tout entière. Le gouvernement souffre lui aussi de l’obsession qui domine tout le monde et dont personne ne peut secouer le poids : il reste toujours sous le coup de ces heures de crise dans lesquelles il a reçu son baptême. Il fut alors nommé pour agir comme on agit au milieu de l’angoisse, avec une inflexible promptitude, avec une souveraine décision. Il garde les qualités de son origine, parce que sa pensée a trop de peine à sortir de ces terribles momens où il fallait de si impérieuses allures. Son origine est encore si proche, et tant de souvenirs nous y reportent ! La publication des documens de l’enquête est venue renouveler dans toutes les mémoires les impressions douloureuses de ces longs mois que nous avons laborieusement traversés. Quelle étrange comédie ! çà et là, le niais, le mesquin, le burlesque, et, par-dessus tous ces incidens aventureux d’un drame sans raison, l’ombre sanglante du tragique dénoûment qui s’apprête.

Nous avons déjà dit notre avis du travail de la commission d’enquête ; les documens par lesquels elle a justifié son rapport confirment notre opinion. Elle n’a point fait, quoi qu’on prétende, une œuvre judiciaire ; la justice était à côté d’elle et s’acquittait de sa tâche selon la forme de ses procédures. La commission a fait une œuvre politique qui, par une coïncidence inévitable, s’est rencontrée dans ses résultats avec les données auxquelles les magistrats eux-mêmes aboutissaient. Le magistrat se renfermait dans le cercle de l’attentat soumis à ses recherches : il se demandait quels étaient les coupables qui avaient envahi l’assemblée nationale au 15 mai et soulevé la guerre civile en juin. Les hommes parlementaires qui avaient accepté la tâche épineuse de scruter les causes de ces déplorables désordres étaient bien obligés, pour en découvrir le sens, de fouiller au-delà. Devant un tribunal qui applique des peines, un procès de tendance est une chose inique. Devant une assemblée législative qui veut être éclairée sur une situation politique, il n’est pas seulement nécessaire, il est équitable d’interroger tous les autécédens où l’on peut trouver la clé de cette situation. Deux crimes ont été commis en deux mois : la majesté de la représentation nationale a été outrageusement violée ; la guerre civile a été déclarée au nom d’une classe de la société contre une autre. C’est à la justice sans doute d’épuiser la rigueur scrupuleuse de ses perquisitions sur l’événement même, pour en trouver les auteurs directs ; mais c’est à la politique de dénoncer les théories, les enseignemens ou les actes au bout desquels le crime est arrivé. Si