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vainement ses ouvriers à lui fournir. Il est indispensable de déterminer une série de peines corporelles, qui seront, pour le colon, le gage d’une exécution sincère des contrats passés avec lui. Des tarifs pour la fixation des salaires et pour la durée des engagemens de travail peuvent également concourir à fixer la position respective du maître et du travailleur. C’est toute une organisation à créer ; mais, si on ne s’en occupe pas, il est facile de prévoir qu’avant peu, nos colonies reproduiront le triste spectacle de la décadence et de la misère de Saint-Domingue.

Ces mesures, pour avoir la portée que nous leur attribuons dans notre pensée, devraient être combinées avec un système de restrictions, quant aux industries urbaines, vers lesquelles accourront en foule les nouveaux affranchis. On peut atteindre ce but en obligeant les individus qui voudront se livrer au colportage, au commerce de détail, au transport par terre ou par eau des marchandises, au battelage, à payer une patente ou une licence assez élevée. Il serait juste néanmoins de faire une différence, pour l’application d’une telle disposition, entre les personnes qui exploitent déjà ces professions et celles qui se présenteront désormais pour les exercer. Les nouveaux venus peuvent à bon droit être considérés comme désertant, pour une occupation à laquelle ils sont peu préparés, le travail de la terre qui a fait l’objet constant de leur labeur. Leur rendre ce changement de condition difficile, c’est exercer à leur égard une sage tutelle, et les prémunir contre leur propre erreur. C’est donc principalement sur eux que devrait tomber le règlement dont nous parlons.

Il est un autre écueil qu’il n’importe pas moins d’éviter. Il est reconnu par tout le monde que la tendance du noir est de délaisser l’atelier pour devenir petit propriétaire ; il aime mieux travailler pour son propre compte que pour le compte d’autrui. Avec un petit champ où il cultivera quelques vivres, il renoncera à se louer au planteur ou ne lui accordera que la partie de son temps qui ne lui sera pas strictement nécessaire. Dans toutes nos colonies, il existe une grande étendue de terres en friche, mais qu’il est très facile de mettre en rapport. Ainsi à la Guadeloupe, sur une superficie de 164,513 hectares, 44,000 hectares seulement sont exploités ; à la Martinique, sur 98,782 hectares, 60,462 sont en friche ; à Bourbon, sur 231,550 hectares, on n’en compte que 65,000 en rapport ; la Guyane, ce vaste territoire de 120 lieues environ, n’a que 11,000 hectares de cultivés.

On voit, par cette situation, le danger que court la culture coloniale. Si on ne prend pas des dispositions pour empêcher la facile acquisition de ces terres par les nouveaux affranchis, l’agriculture restera sans bras. Ces terres appartiennent presque en totalité au domaine ; il est donc facile d’en soumettre l’aliénation à des conditions très rigoureuses. Nous ne pouvons mieux faire, pour montrer la sollicitude qu’exige cette