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de conclure qu’elle doit être dans la proportion du dommage éprouvé par le maître dépossédé. Ce dommage ne peut s’évaluer approximativement que par l’appréciation de la valeur des noirs enlevés aux anciens propriétaires. Le décret repousse cette conséquence logique, par la seule raison qu’elle amènerait un résultat hors de proportion avec les ressources financières actuelles de la république. Il pose une autre base : il procède par appréciation de la dépense du salaire sous le régime de liberté comparativement à celle du travail forcé précédemment imposé aux noirs, et évalue cette dépense à 75 centimes par jour. Il a la prétention, au moyen de l’indemnité proposée, d’exonérer le planteur pendant cinq ans, temps suffisant pour opérer la transformation du travail, des frais nouveaux qu’il aurait à faire.

Il serait vraiment inutile de rechercher si ce règlement a quelque chose de rationnel. L’exposé des motifs fait lui-même l’aveu que les moyens exacts d’évaluation manquent encore pour déterminer la moyenne générale du prix des salaires sous le régime du travail libre. Cette sincérité de la part des auteurs du projet nous désarme, mais ne peut nous dispenser de rappeler à leur souvenir l’élévation exorbitante de la main-d’œuvre dans les colonies anglaises après l’émancipation. Ils savent parfaitement que dans les possessions britanniques les salaires ont augmenté d’année en année, et qu’elles luttent péniblement encore aujourd’hui, c’est-à-dire après dix ans, contre les conséquences de ce renchérissement. Nous ne pouvons non plus prendre au sérieux l’observation que, sous le régime de liberté, les charges disparaissent pour le propriétaire et lui laissent, sans mélange aucun, les bénéfices, parce que, ajoute l’exposé des motifs, il n’a plus l’obligation de nourrir, de vêtir et de loger la partie active des ateliers esclaves. L’expérience dément cette assertion : dans les colonies anglaises, non-seulement le planteur a payé en argent une rémunération hors de proportion avec le revenu de sa terre, mais il a dû continuer d’accorder à ses cultivateurs le même traitement en nature que sous le régime de l’esclavage.

Il faut cependant nous rendre compte de la valeur de cette allocation de 90 millions comme indemnité. Rapprochons ce chiffre du dénombrement des noirs libérés, pour faire l’application du principe que nous avons rappelé plus haut.

Martinique[1]


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Population affranchie 76,042
Vieillards 4,913
Enfans 9,505
14,418
A déduire 14,418
Reste 61,624
  1. Les chiffres que nous allons citer sont extraits de la statistique officielle de la population esclave au 31 décembre 1845 (Revue coloniale). Nous avons évalué les enfans au-dessous de cinq ans à un huitième de la population totale ; c’est une évaluation arbitraire, mais qui doit se rapprocher de la vérité. Nous n’avons pas besoin de faire observer que nous avons négligé les fractions.