Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une proposition à la chambre des représentans. Le ministre de la marine a présenté à l’assemblée nationale le décret qui porte les bases de ce règlement. Ce décret ouvre un crédit de 90 millions pour être réparti entre les colons dépossédés de leurs esclaves dans les colonies de la Martinique, de la Guyane, de la Réunion, du Sénégal et dépendances, de Nossibé et Sainte-Marie. cette indemnité sera payée en numéraire et en dix annuités. Les trois premières annuités seront de 12 millions chacune. Tous les noirs affranchis donnent droit à l’indemnité, à l’exception des individus âgés de plus de soixante ans et des enfans de cinq ans et au-dessous : Sur la somme totale, il est attribué, savoir :

¬¬¬

A la Martinique. 22,618,286 fr.
A la Guadeloupe et dépendances 29,207,477
A la Guyane 5,588,578
A la Réunion 31,165,503
Au Sénégal et dépendances 1,245,051
A Nossibé et Sainte-Marie 175,105
Total 90,000,000 fr.

L’exposé des motifs ne soulève pas la question de principe quant à l’indemnité ; il se borne à la déplacer, sans oser affronter la difficulté. Il établit que, pour assurer le travail, le gouvernement est dans l’obligation d’accorder un dédommagement aux colons, qui vont être dans la nécessité d’employer des ouvriers volontaires et salariés au lieu et place de leurs anciens ouvriers gratuits et esclaves.

Le principe de l’indemnité n’est donc pas contesté. On reconnaît implicitement que, si l’homme n’a pu être la propriété de l’homme, dans le sens exact du mot, il n’en a pas moins été la cause d’un droit de propriété d’une nature particulière. Ce droit est, il est vrai, conditionnel, mobile, variable, à l’encontre du droit de propriété ordinaire, qui est perpétuel et absolu ; mais il existe avec son caractère propre, et l’on ne peut en déposséder personne sans une équitable compensation. L’esclavage blesse la conscience et la raison ; il est contraire à la morale et à la religion. Cependant, on ne peut le nier, il puise sa légitimité conventionnelle dans la loi. Le législateur a justifié le colon. L’état a proclamé la nécessité de cette institution, et l’a prise sous sa protection. Il a prodigué les encouragemens, les primes, les immunités à ceux qui consentaient à y engager leurs capitaux et à fonder sur la servitude la prospérité coloniale. Les édits et les ordonnances qui portent le caractère de cette criminelle provocation ne sont que trop nombreux. Ce n’est que depuis peu d’années que le gouvernement français est entré dans une autre voie. Il est donc juste, sinon de droit étroit, d’accorder une indemnité aux propriétaires de noirs.

Quelle sera cette indemnité ? Une fois le principe admis, il est naturel