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l’affranchissement de la population esclave de la Guyane, en le combinant avec un système de colonisation. Les personnes qui ont été chargées du ministère de la marine, depuis le 24 février, ont dû trouver ces projets tout préparés ou à l’étude, dans les bureaux de l’administration.

Nous savons les reproches qu’on peut adresser à cette conduite et aux vues qu’elle tendait à faire prévaloir. C’était, disait-on, une méthode trop lente pour le grand but qu’il était de la dignité et de l’intérêt de la France d’atteindre le plus tôt possible. On désorganisait l’état présent des colonies, on inquiétait les propriétaires, on affaiblissait leur autorité en soumettant leurs ateliers à une intervention incessante de l’administration ; on rendait les esclaves plus impatiens du joug par les libérations individuelles du rachat forcé ; on tentait, sans grandes chances de succès, de les moraliser et de vaincre les obstacles résultant, soit du mauvais vouloir des maîtres, soit de l’état d’abjection qu’entretient avec soi la captivité. Enfin, pendant les lenteurs de cette laborieuse réforme, qui ne détachait les fers de la servitude que chaînon par chaînon, des événemens pouvaient surgir, tels qu’une guerre maritime, et enlever au gouvernement la possibilité d’achever régulièrement son œuvre.

Ces objections étaient fondées. Si les chambres avaient été mieux disposées à imposer au trésor les charges de l’indemnité, on aurait dû s’y arrêter ; mais alors toutes les préoccupations étaient tournées d’un autre côté : on employait les finances de l’état à un grand déploiement de travaux publics, à la construction des chemins de fer, aux canaux, à l’amélioration de nos rivières, aux ports, aux fortifications, à cet ensemble immense d’ouvrages qui ont, dans ces dernières années, surchargé nos budgets. On ne manquait pas d’ailleurs de bonnes raisons pour justifier le plan adopté, aux yeux des adversaires, peu nombreux, qu’il rencontrait dans la presse et dans le parlement. On ne voulait pas, disait-on, exécuter l’émancipation en suivant exclusivement la voie ouverte par l’Angleterre ; on avait la prétention de profiler de l’expérience faite par elle, d’éviter les écueils où elle était venue se heurter, et de tirer avantage des mesures dont elle avait fait une heureuse application. On ajoutait que, si les modifications à porter au système anglais entraînaient des lenteurs, elles avaient le mérite de se concilier merveilleusement avec les nécessités d’une époque de transition qui serait employée à l’éducation morale des noirs ; qu’enfin, dans cette marche progressive, le gouvernement restait toujours maître, suivant les circonstances et son plus ou moins de confiance dans le succès, de déterminer le jour où l’esclavage devrait cesser. Il n’entrait plus dans la pensée de personne d’ajourner à dix ans l’heure de la libération, ainsi que l’avait proposé la commission des affaires coloniales. Les hommes