Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des deux nationalités et des deux langues en Gallicie. La Pologne se débarrassait ainsi de son Irlande, comme s’exprimait le prince Lubomirski dans un remarquable discours ; elle empêchait d’avance les fautes de la révolution de 1831, qui périt pour n’avoir pas supprimé la corvée, pour n’avoir parlé des Ruthéniens qu’en chansons ; elle ouvrait la perspective d’un grand état ruthénien avec les Cosaques pour armée nationale, Kiew pour capitale sainte, Odessa pour débouché : elle préparait un solide appui à la fédération future, à cette nouvelle république polonaise dont le dogme souverain serait désormais l’égalité parfaite de toutes les familles slaves. « Hâtons-nous, ajoutait le prince Lubomirski, car si notre mauvais sort nous réduisait encore au silence, si nous devions reprendre pour de longues années le joug de l’étranger, qu’on dise au moins de nous que ces quelques momens de liberté qu’il plaît à la Providence de nous accorder, nous en avons profité pour réparer les injustices du passé, pour abolir la corvée, pour reconnaître à nos frères les droits que nous revendiquions nous-mêmes. Nous pourrons alors nous confier à l’avenir. Dans cette marée montante de la révolution, chaque lame qui arrivera nous portera plus haut, et il n’y en aura pas qui nous engloutisse. » Triste et courageux pressentiment d’une destinée qui n’était que trop prochaine !

Ouvert le 2 juin, le congrès slave se trouva fermé le 12 au bruit de la fusillade. Ces dix jours avaient déjà produit trois actes importans : un manifeste adressé aux peuples de l’Europe, — une pétition dans laquelle on exposait à l’empereur les plaintes et les vœux de ses sujets slaves en l’instruisant du projet d’alliance qu’ils avaient formé pour obtenir satisfaction, — enfin ce pacte fédéral lui-même. — Le manifeste aux peuples de l’Europe a été depuis publié par la Gazette centrale slave. On attribue l’inspiration qui l’a dicté au docteur Liebelt. Les Slaves réunis à Prague en appelaient aux peuples de souche romaine et de souche germanique ; ils comparaient à l’esprit de conquête, qui avait aussi été pour ceux-là un esprit de discipline, cet indomptable esprit de liberté qui les avait eux-mêmes menés à la servitude en leur inspirant le dégoût des autorités salutaires ; mais pour eux aussi le temps était venu d’être libres. « Fidèles à leur nature et aux principes de leurs aïeux, » forts de leur nombre et de leur mutuel dévouement, ils entendaient se constituer chez eux à leur guise, en s’imposant tous, selon la plus stricte égalité, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils entendaient, vis-à-vis de l’Europe, s’associer librement et former en Autriche une fédération centrale ; ils repoussaient loin d’eux tout soupçon de panslavisme russe ; ce qu’ils sollicitaient, c’était bonne justice pour tous les Slaves, et par conséquent réparation à tirer de la Russie pour le partage de la Pologne ; de la Prusse, de la Saxe, de la Hongrie, de l’Autriche et de la Turquie pour les attentats commis tant