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bottes turques ronges à pointes recourbées assez grandes pour faire un justaucorps. La main balance un énorme bâton. Représente-toi tout cela, et, pour prendre ton point de vue, place-toi sur un tas de matelas, de caisses, de casseroles et de bâts, et tu auras une idée de ce que c’est qu’un naturaliste en Syrie et un campement de voyageurs arrêtés pour dîner dans un lieu commode. »

Une autre lettre, écrite à son père, contient des détails sur l’itinéraire suivi en Palestine par la petite caravane artistique et botanique. Tu dois sans doute, mon cher père, avoir reçu la lettre que je t’ai envoyée de Beyrouth. Dans le cas contraire, je te dirai que nous n’avons pu faire le voyage de Palmyre comme nous l’espérions, à cause des Bédouins, qui, justement à cette époque, étaient agglomérés pour faire paître leurs troupeaux près de Homs, ville située au bord du désert, et d’où nous devions partir pour notre expédition. Nous sommes allés de là à Balbek, puis dans le Liban, où nous avons passé quelque temps. Ce que je ne t’ai pas dit, de peur de t’effrayer, c’est que M. Hugel y est tombé malade d’une fièvre nerveuse qui lui a duré quinze jours à Tripoli, puis à peu près autant à Beyrouth, où nous étions allés par mer. De Beyrouth, nous sommes allés par mer à Saïde (Sidon), puis à Sour (Tyr), ensuite à Acre, par terre ; de là à Nazareth, puis au Thabor, à Tibériade, près la mer de Galilée. Nous sommes retournés à Nazareth, puis de là nous avons dirigé notre voyage vers la grande cité de Jérusalem par Samarie (Naplouse aujourd’hui) Nous y sommes restés huit jours, tu penses à quoi faire : à visiter toutes les places… À recueillir toutes les traditions… pas moi, car je n’écris rien, et je préférerais du reste un bon croquis (malheureusement les bons croquis sont rares !) à toutes les relations de voyages imaginables. A Jérusalem, je me suis fourni d’une bonne provision de chapelets, reliques, etc., que j’ai fait bénir au Saint-Sépulcre. Cela peut être agréable à quelques personnes de nos connaissances. Nous sommes allés voir Bethléem et la mer Morte, et tous les points importans ; puis nous avons fait route sur Jaffa, où nous nous sommes embarqués pour Alexandrie. Notre traversée a été de quarante-huit heures seulement. Tu sens que, tout en voyant des lieux si anciennement illustres, les souvenirs de nos vieilles armées de la république m’ont souvent occupé, et au Thabor, et à Saint-Jean d’Acre, et à Jaffa, que de fois j’ai pensé à toutes ces belles victoires d’une poignée de Français sur des milliers d’Arabes, venus comme des fourmis de leurs déserts !

« Comme les mauvaises nouvelles se savent vite et sont toujours exagérées, tu dois avoir lu dans les journaux des relations effrayantes des ravages du choléra-morbus en Syrie, en Arabie et en Égypte ; je vais te dire tout ce que j’en ai su sur les lieux mêmes, et quel rapport cela peut avoir avec notre voyage.