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pouvoir, M. de Pillersdorf n’avait rien trouvé de mieux, pour apaiser l’exaltation des Tchèches, que de mettre un ministre panslaviste dans le cabinet autrichien à l’instant où les panslavistes voulaient arracher l’Autriche à l’Allemagne. Les patriotes allemands réclamèrent tout de suite auprès de M. de Pillersdorf, qui répondit, à ce qu’on assure, que, l’Autriche n’étant pas exclusivement germanique, il n’était pas bien certain qu’elle ne devînt point un jour principalement slave ; sur quoi quelqu’un s’écria qu’on pouvait bien slaviser une dynastie, mais non point un peuple. Palazky cependant était arrivé à Vienne ; sa nomination était signée de l’empereur. Les étudians menacèrent alors d’une émeute, et le comte Batthyany, au nom du cabinet hongrois, déposa une protestation contre cette insigne concession que l’on faisait aux Tchèches, comme si l’on eût voulu donner du cœur aux Slovaques en lutte avec les Magyars. Palazky se retira pour ne point causer de trop grands embarras à ce ministère ami, et il revint à Prague annoncer que la victoire des Slaves était sûre.

Cela se passait à la veille du 15 mai ; le mouvement de Vienne, qui détermina la fuite de l’empereur sur Inspruck, n’était pas pour engager les Tchèches à serrer les nœuds qui les attachaient à l’Allemagne ; ils trouvaient là, bien au contraire, une raison nouvelle de refuser l’obéissance aux décrets de Francfort. La camarilla impériale, émigrée dans le Tyrol, exploita tout de suite la situation, et Prague fut ainsi livrée à un double courant d’intrigues aristocratiques et de passions démagogiques. Pendant que le bourguemestre ordonnait aux fabricans d’arrêter trois semaines encore la marche de leurs machines pour complaire aux exigences des ouvriers, pendant que les étudians félicitaient leurs camarades de Vienne, le burgrave annonçait officiellement que l’empereur comptait sur ses fidèles Bohèmes dans ce péril imminent de son trône. Puis le comte Lazansky, le futur conseiller du nouveau vice-roi, se présentait au comité national en costume slave, tenant à la main son bonnet rouge à la Swornost. Au milieu des cris de Slawa ! Slawa, il racontait avec indignation les événemens du 15 mai, et flétrissait, aux applaudissemens de l’assemblée, l’ingrate et déloyale cité qui chassait son paternel souverain. Le comité rédigea sur-le-champ une adresse dans laquelle il maudissait le crime de Vienne, et invitait l’empereur à fixer sa résidence en Bohême, où il avait d’aussi fidèles sujets qu’en Tyrol. Palazky, plus habile, obtint qu’on ménagerait davantage les Viennois, et qu’on ne mettrait pas si fort à nu les ambitions slavistes en attirant si ouvertement l’empereur à Prague. L’adresse n’en fut pas moins très tendre et très significative. Les Bohèmes, désolés du cruel outrage par lequel on récompensait de sa générosité leur bien-aimé seigneur et roi, s’unissaient du fond de l’âme au cri brûlant de tous les cœurs : Tout pour notre César et roi Ferdinand, nos biens et