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ordonnait de commencer les élections pour le parlement de Francfort, en Bohême, en Moravie, en Silésie, dans tous les pays slaves de la couronne d’Autriche. Les Tchèches ne voteraient pas, soit ; mais les Allemands auraient du moins le droit de paraître dans la grande assemblée qui allait régler les destinées de leur mère-patrie. Il n’était pourtant pas encore si commode qu’ils le pensaient d’user de ce droit-là, et le Cercle allemand avait à subir de rudes épreuves. Trois membres des cinquante assistaient à une de ses séances ; il y avait salle pleine, parce qu’on prévoyait un tumulte ; on parlait des élections : on commentait la réponse définitive du ministre : « Les districts allemands veulent-ils nommer des députés ? ils sont maintenant à même de le faire ; quant aux districts tchèches, un ordre du cabinet leur indiquera plus tard la conduite à tenir. » Sur ce seul mot d’ordre, ce fut une explosion de sifflets et de grognemens ; les bâtons se levèrent et les Allemands abandonnèrent la place aux Tchèches pour ne pas l’ensanglanter. Le chef des ultras, le journaliste Hawliczek s’empare de la tribune et tonne contre le parlement de Francfort : la Bohême n’y a rien à voir ; son intérêt véritable est de donner la main aux Illyriens et aux Polonais, d’entraîner l’Autriche avec elle pour élever un boulevard protecteur des Slaves ; la Bohême aura l’Autriche malgré l’Autriche. « Dehors les étrangers qui veulent se glisser comme des serpens entre le comité national et le peuple ! dehors les étrangers ! » — Les délégués des cinquante retournèrent à Francfort tout-à-fait contristés : ils avaient vu de près la brutalité tchèche et la mollesse allemande. Ils se plaignaient de tout le monde, des grands seigneurs de souche teutonne, qui s’unissaient aux radicaux et affectaient de parler le peu de tchèche qu’ils savaient ; des bourgeois de Vienne, qui craignaient par-dessus tout que leur résidence impériale ne devînt une ville de province. En tête du parti séparatiste, ils avaient d’ailleurs reconnu des agens russes avec des décorations russes et des diamans russes aux doigts. Bref, il n’y avait plus de ressources que dans la force ; c’était avec l’épée qu’on devait maintenant résoudre la question. Le difficile était justement d’avoir une épée, l’Autriche ne semblant pas d’humeur à prêter la sienne. On s’en tint provisoirement à dépêcher des missionnaires en Bohême pour faire de la propagande germanique parmi les Tchèches ; c’était d’une exécution plus simple, mais sur quel succès compter ? Autant valait, pour la cause en péril, l’épitre solennelle adressée « à nos frères Allemands de Bohême, » par les gens de lettres qui venaient de former à Leipzig « le congrès protecteur des intérêts allemands sur la frontière de l’Est. » Cette lettre solennelle était une imprécation contre les Tchèchomanes, qui oubliaient les bienfaits de la culture germanique, une exhortation pathétique aux Allemands, qui ne résistaient point avec assez d’énergie à l’invasion du déluge panslaviste. On leur criait de s’appuyer sur Francfort, de se