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ne rencontrèrent qu’une bienveillance fort douteuse. L’un d’eux était le poète Maurice Hartmann, le jeune auteur de la Coupe et l’Épée. Son éloquence ne prévalut pourtant ni dans les conseils des bureaucrates, ni dans les réunions populaires des clubs. Il eut beau parler du futur empire des Slaves et de la lutte à mort dont il menaçait l’Allemagne ; le parti tchèche avait à Vienne même des auxiliaires considérables, soit auprès du gouvernement, soit au sein de la bourgeoisie. C’étaient des auxiliaires qui raisonnaient.

Le parti tchèche, en effet, sinon comme parti politique, du moins en tant que parti national, ne déplaisait pas absolument à tout ce qui constituait encore la vieille, la solide Autriche. Il y avait bien des ultra-tchèches, des panslavistes à la façon moscovite, qui prônaient tout ensemble le radicalisme démagogique et l’anéantissement radical de l’union austro-slave, républicains inconséquens derrière lesquels se cachaient des intrigues russes, et qui couvraient cependant la violence de leurs opinions ou de leurs menées du nom respecté de Schafarik. Il y avait même plus avant encore, au fond des classes souffrantes, dans les districts industriels du Böhmerwald, dans les faubourgs de Prague, un germe de communisme qui se traduisait, sous sa forme la plus grossière, par des tentatives de pillage contre les boutiques des juifs, une forme d’ailleurs pour laquelle les philistins dévots et les petits marchands jaloux n’étaient pas sans indulgence ; mais le parti tchèche, à son origine, se composait en immense majorité de gens beaucoup moins extrêmes qui ne dépassaient ni la monarchie constitutionnelle en fait d’institutions politiques, ni les limites de l’empire d’Autriche en fait d’association nationale. Ceux-là repoussaient toute idée d’alliance avec la Russie, tant que la Russie, elle-même enchaînée, serait dans le monde un instrument d’oppression ; c’était l’état autrichien qu’ils voulaient métamorphoser en confédération slave pour offrir un point d’appui libéral, un centre assuré à toutes les branches encore divisées et humiliées de leur antique famille. La persistance de l’état autrichien était la base des plans que méditait leur patriotisme ; leur programme, tel que Palazky allait le rédiger dans sa lettre aux cinquante de Francfort, était une protestation catégorique en faveur de l’indépendance et de l’intégrité de la monarchie.

Or, la chose qu’on redoutait le plus à Vienne en ce moment-là, c’était de voir disparaître l’empire dans l’abîme de l’unité allemande, c’était de voir diminuer ou supprimer l’existence propre de l’Autriche et sa valeur intrinsèque d’ancien établissement politique. Le Viennois, bon Autrichien s’il en fut, avait été entraîné par la première surprise de la révolution démocratique que les étudians lui faisaient. Il s’était paré de son équipement de garde national avec une certaine vanité bourgeoise, et il avait chanté, sans trop penser aux suites, la