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de Thèbes. Plus loin, Bonaparte écrit au général Dugua : « Vous ferez, citoyen général, trancher la tête à Abdalla-Aga, ancien gouverneur de Jaffa. D’après ce que m’ont dit les habitans de Syrie, c’est un monstre dont il faut délivrer la terre... Vous ferez fusiller les nommés Hassan, Jousset, Ibrahim, Saleh, Mahomet, Moustapha, Mahamet, tous Mamelouks….. » Au sultan du Darfour, il écrit : « Je désire que vous me fassiez passer deux mille esclaves mâles, ayant plus de onze ans. » — Il aimait les esclaves, dit M. de Chateaubriand.

Cependant Napoléon voit barrer sa fortune à Saint-Jean-d’Acre. « Arrêté, dit son illustre biographe, aux frontières orientales de l’Asie, il va saisir d’abord le sceptre de l’Europe pour chercher ensuite au nord, par un autre chemin, les portes de l’Himalaya et les splendeurs de Cachemire. » Citant sa belle lettre à Kléber pour lui remettre le commandement de l’armée d’Egypte, M. de Chateaubriand ajoute : « Jamais le guerrier n’a retrouvé d’accens pareils ; c’est Napoléon qui finit. L’empereur, qui suivra, sera sans doute plus étonnant encore, mais combien aussi plus haïssable ! Sa voix n’aura plus le son des jeunes années ; le temps, le despotisme, l’ivresse de la prospérité, l’auront altérée... »

Nous ne pouvons entrer ici dans tous les détails de la grande esquisse que l’auteur des Mémoires consacre à l’empire ; « songe immense, dit-il quelque part, mais rapide comme la nuit désordonnée qui l’avait enfanté. » Le sentiment toujours présent de la catastrophe qui terminera si brusquement cette merveilleuse destinée donne au récit de l’écrivain le caractère d’un chant funèbre dont la ritournelle plaintive ramènerait sans cesse à l’idée de la fragilité de l’homme et de la grandeur de Dieu. Ainsi, le peintre n’a pas plutôt esquissé la victoire d’Austerlitz, qu’il ajoute immédiatement un dernier trait qui nous reporte à Waterloo : «Napoléon, dit-il, après sa victoire, ordonne de bâtir le pont d’Austerlitz, et le ciel ordonne à Alexandre d’y passer. » Plus loin, l’empereur est arrivé à l’apogée de sa fortune ; il a obtenu la seule chose qui lui manquait : il a épousé la fille des Césars. « Le passé, dit l’historien, se réunit à l’avenir ; en arrière comme en avant, Napoléon est désormais le maître des siècles, s’il se veut enfin fixer au sommet ; mais il a la puissance d’arrêter le monde et n’a pas celle de s’arrêter : il ira jusqu’à ce qu’il ait conquis la dernière couronne qui donne du prix à toutes les autres, la couronne du malheur….. » Un fils lui naît ; on le baptise roi de Rome, et «de ce fils, éclos, comme les oiseaux du pôle, au soleil de minuit, il ne restera qu’une valse triste, composée par lui-même à Schœnbrunn et jouée sur des orgues, dans les rues de Paris, autour du palais de son père. »

C’est ainsi que M. de Chateaubriand raconte ou plutôt chante la vanité des grandeurs humaines dans la personne du plus grand des