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et par instinct, l’assemblée a pénétré ces velléités de dictature, et en a conçu une méfiance assez bien justifiée. De là (et ce n’est pas à coup sûr un reproche que nous faisons à l’assemblée), ces tiraillemens continuels, ce spectacle pénible du pouvoir habituellement en suspicion et tous les jours sur la sellette, ces comités transformés en inquisiteurs, et, par un contrecoup inévitable, le pouvoir exécutif, timide en présence de la force morale des représentans de la France réunis, retrouvant sa hardiesse aux portes du palais national, et allant chercher sous main quelque appui dans les rangs de ceux qui confondaient dans une haine commune l’assemblée et l’ordre social. Les ateliers nationaux étaient pour la commission exécutive ce qu’étaient pour Louis XVI le camp de Coblentz et les émigrés : un point d’appui qu’on aimait à se ménager, un dernier espoir de résistance à l’horizon contre les volontés despotiques d’une assemblée souveraine. Pendant ces deux mois, à dire vrai, le pouvoir exécutif n’a été nulle part, ni dans l’assemblée, qui commandait sans responsabilité et sans moyen de vérifier l’exécution de ses ordres, ni dans la commission, qui obéissait de mauvaise grâce, sans ardeur, sans intelligence et sans prendre jamais d’initiative ; et, par les flancs ouverts du bâtiment, l’émeute, comme la lame, a fait invasion tout d’un coup. On peut prédire le même sort au pouvoir que la constitution va établir. Son origine populaire lui donnera juste assez de prétentions d’indépendance pour exciter la jalousie de l’assemblée, et les dissentimens sourds et avoués des pouvoirs publics feront les affaires de leurs ennemis et des nôtres. Sans doute, le 25 juin, le pouvoir exécutif a pris sa revanche. Il est sorti de la bataille rallié, ferme, frappant avec la précision du sabre. J’espère que ce sera là l’issue de toutes les épreuves pareilles que nous pourrons subir encore, et la constitution semble y avoir pourvu, puisqu’elle a placé l’état de siège au nombre de ses prévisions régulières ; mais j’aurais mieux aimé, je l’avoue, que la constitution se mît en devoir de nous en épargner le retour. Des alternatives d’anarchie et d’état de siège, c’est l’état dont nous jouissons déjà, et, pour n’y rien changer, ce n’est pas la peine de se mettre en frais d’une constitution. Si, pour avoir quelques mois d’un pouvoir exécutif réel, il faut le payer d’abord du plus pur de notre sang, et ensuite des plus chères de nos libertés, ce n’est pas trop sans doute, mais c’est triste et c’est cher. Et si par hasard, le lendemain de quelque bataille de juin, le malheur ou le bonheur voulait qu’il se trouvât pour en recueillir le fruit un capitaine dont le nom fût déjà connu sur quelque champ de bataille, et qui joignît à des talens militaires éprouvés un peu de ce sens politique que souvent la vie des camps développe ; si, porté par les événemens au premier rang, il savait les dominer à son tour ; si quelque brillante éloquence, quelque capacité véritable lui donnait sur la raison de ses concitoyens l’ascendant qu’il