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de la boîte de Pandore ; on peut se flatter qu’un président de république élu par le suffrage universel s’entendra parfaitement avec une assemblée sortie de la même source. On peut dire tout cela ; que ne dit-on pas ? Mais ces espérances empêchent-elles qu’il n’y ait entre les pouvoirs exécutif et législatif des élémens de rivalité naturelle, des occasions de conflit inévitables, tenant précisément à ce qui rend leur séparation nécessaire, c’est-à-dire à la diversité des conditions de leur tâche ? Ce sont là des faits qui préexistent et survivent aux monarchies comme aux républiques ; on ne s’en délivre point en les niant. Ce qu’il y a de plus raisonnable encore à espérer dans le cas actuel, c’est que le pouvoir exécutif républicain, faisant moins de défense même que la monarchie démocratique de Louis XVI, vendra sa vie moins cher, et sauvera peut-être son existence nominale aux dépens de ses droits légitimes.

Mais sauvera-t-il la nôtre ? C’est, à dire vrai, la question qui nous touche. Encore une fois, il ne s’agit ici ni de péril éloigné ni de spéculations générales, il ne s’agit pas de grandeur, il ne s’agit pas de prospérité, il ne s’agit pas de liberté ; il s’agit d’être ou de n’être pas ; il ne s’agit pas de ce qui se passera dans dix ans (bien habile qui pourrait dire où nous serons dans dix ans les uns elles autres, et principalement où sera la constitution nouvelle), mais de ce qui va tomber demain matin sur notre tête. Pense-t-on que ce soit une plaisanterie que de n’avoir, pour ainsi dire, pas de pouvoir exécutif en présence des vingt ou trente mille insensés qui campent plus qu’ils n’habitent dans nos faubourgs ravagés par le canon ? Demandez-le au 24 juin 1848. Dans les douleurs de ces fatales journées, les coupables complaisances d’un pouvoir qui a disparu dans la bataille sont pour beaucoup sans doute ; il faut cependant être juste pour tout le monde : la faiblesse, la fausse situation de la commission exécutive, le partage inégal et irrégulier de l’autorité entre elle et l’assemblée y ont contribué plus encore. Nous avons eu, pendant les deux mois de règne de la commission exécutive, un prélude, un avant-goût, pour ainsi dire, de ce que seront les rapports habituels du futur président de la république avec les futures assemblées nationales. Imposée à cette assemblée plutôt que choisie par elle, la commission exécutive pouvait se vanter, elle aussi, d’être sortie directement du suffrage populaire, ou du moins de ce qu’il lui plaisait d’appeler ainsi. Elle avait quelques-unes des prétentions élevées que donne une origine indépendante. Les souvenirs de trois mois de dictature, où elle en avait pris à son aise avec toutes les lois divines et humaines (c’est le cas ou jamais de se servir de cette expression consacrée), lui faisaient trouver dur de se résigner à l’humble rôle de mandataire d’une assemblée nationale. Volontiers elle eût dit, comme Louis XIV, non pas l’état, mais le peuple, c’est moi. De bonne heure