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et du dévouement dans l’attitude avec laquelle elle se prépare à une lutte qui n’est point sans péril ; il y a de la dignité, il y a de l’honneur chevaleresque dans toutes les mesures qu’elle prend pour prévenir le démembrement de la patrie ; mais, si les Magyars veulent bien descendre au fond de leur conscience, ils avoueront avec leur compatriote Széchényi qu’ils ont eux-mêmes appelé le péril, et ce n’est pas par l’épée, ils le reconnaîtront aussi, qu’ils peuvent réparer les maux causés par la propagande. Dans ce combat, qui est près de devenir sanglant, il n’y a pas d’autres armes possibles que celles de la persuasion, car, s’il fallait en venir à une guerre en règle, le succès ne serait nullement assuré aux Magyars, et, dans tous les cas, la victoire ne rétablirait ni l’unité ni la paix. Préparer la guerre pour obtenir la paix, c’est ici une fausse maxime. Il faut se hâter de remettre le sabre au fourreau et de négocier. En quel sens ? Toute la situation l’indique. Dans le sens des concessions, qui seules peuvent apaiser les Slaves alarmés et hostiles. Le magyarisme a réveillé et surexcité, par méprise, leur nationalité, auparavant assoupie ; il ne leur rendra la confiance et le calme qu’en reconnaissant leurs titres à conserver cette nationalité si chère et à l’entourer d’institutions locales susceptibles de la faire prospérer. Que les Magyars renoncent à imposer leur langue à la Croatie, aux Slovaques, aux Roumains ; qu’au lieu de prétendre à l’absorption des trois peuples annexés ou conquis, ils consentent à former le centre d’un état fédératif, et alors tout prétexte d’insurrection aura cessé, la Hongrie retrouvera sa puissance et sa liberté d’action, et les Magyars exerceront dans toutes les affaires de cette partie de l’Europe une influence prépondérante. Ils seront le foyer d’où les idées libérales rayonneront sur tout l’Orient et autour duquel Slovaques, Roumains et Croates viendront s’asseoir et se réchauffer. Lorsque les Tchèques du pays slovaque auront obtenu ces garanties de nationalité en sus des libertés civiles que la constitution hongroise leur assure, ils n’éprouveront plus le même entraînement pour une union avec les Tchèques de la Bohême, dont les institutions sont moins parfaites. Ainsi en sera-t-il des Valaques de la Transylvanie ; ils préféreront évidemment, dans de telles conditions, l’alliance avec la Hongrie libérale à l’unité des races avec la Moldo-Valachie, placée encore sous la suprématie ottomane et le protectorat des Russes. Enfin les Croates, tranquilles dans la possession de leurs privilèges municipaux, n’éprouveront plus de répugnance à rester annexés à la Hongrie, car ils trouveront dans cette situation, outre les bénéfices de l’indépendance, les avantages d’une solidarité politique avec les Magyars, très précieuse en face de l’Allemagne et de la Russie.

Poser ainsi la question hongroise, c’est la simplifier, c’est la résoudre autant du moins qu’elle peut être résolue dans le présent. En dehors d’une transaction favorable aux trois peuples qui ne sont point magyares, il n’est point de paix possible, et à côté de l’ombre de la guerre nous n’apercevons dans l’avenir que de sombres fantômes. Au lieu d’une fédération puissante, qui réunirait les Magyars, les Tchèques, les Roumains, les Polonais et les Illyriens dans une sainte ligue pour la régénération de l’Europe orientale, nous voyons surgir, avec la guerre en Hongrie, d’insurmontables obstacles à ces projets généreux, à ces magnifiques espérances d’une résurrection des nationalités vaincues. La Pologne s’agitera vainement au fond de la tombe où elle a été précipitée toute palpitante de jeunesse et d’héroïsme ; vainement la Bohème aura retrempé aux sources de la science et de l’art son génie mélancolique et rêveur, et c’est en vain que les