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Polonais de Posen a été versé par des Allemands, celui des Croates a coulé sous les coups des Magyars ; demain peut-être les Tchèques-Slovaques voudront se joindre aux Croates pour venger sur les Magyars la défaite de Prague, et qui sait ce que vont devenir les Valaques de la Hongrie et ceux de la Turquie ? Qui peut dire si, au même moment où ils sont courbés sous le poids de l’intervention russe, ils ne vont point être entraînés malgré eux à une lutte de race contre les Magyars et les Turcs ?

Tous ces peuples, ennemis naturels de la Russie, après s’être serrés, comme par un impérieux instinct, autour de la Pologne, en qui se personnifiaient leurs malheurs et leurs espérances, sont aujourd’hui, par un changement fatal, près de se déchirer entre eux, égarés par des préjugés de race qui laissent le champ libre aux intrigues et à l’invasion des Moscovites. Jamais pourtant l’union ne fut plus nécessaire au salut de tous, car l’occasion ne fut jamais plus favorable pour tenter un généreux effort, et cet effort échouera, si, en face de l’ennemi commun, on persiste dans de déplorables discordes.

Parmi ces querelles de peuple à peuple, la plus vive et la plus menaçante est celle des Magyars avec les Tchèques-Slovaques, les Roumains de la Transylvanie, et principalement avec les Illyriens-Croates. L’histoire en a été racontée ici même[1], non sans une vive sympathie pour les Slaves et les Roumains, dont on plaignait la misère et dont on aimait le vif esprit, la jeunesse, le bon sens et le courage. La même histoire a été écrite d’un autre point de vue dans l’ouvrage de M. de Gérando sur l’Esprit public en Hongrie depuis la révolution française ; ici, la sympathie de l’auteur incline presque exclusivement du côté de la race magyare. Des deux parts, les conclusions se ressemblent fort ; elles montrent la nécessité de l’union et de la concorde, mais elles n’y conduisent pas par les mêmes raisonnemens. D’où le mal est-il venu ? Des Croates et des populations de religion grecque, suscitées par la Russie contre la race magyare, ou bien du sentiment de nationalité naturel à toutes ces populations et blessé chez elles par un peu d’exagération dans l’orgueil magyare ? C’est une grave question, d’où dépend celle de savoir qui doit faire les premières concessions, et c’est sur ce point que l’opinion de M. de Gérando diffère légèrement de la nôtre.

Personne ne peut nier, fût-on ami des Slaves jusqu’à l’aveuglement, que la Russie n’ait cherché à intervenir dans les agitations politiques des Croates et des Slovaques. Le poète slovaque Kollar est un panslaviste russe tout plein de l’idée que l’empire des Slaves Unis formerait le plus grand et le plus glorieux empire du monde. Il y a eu aussi originairement en Croatie de jeunes cerveaux qui rêvaient la même gloire et qui se nourrissaient de l’espoir d’être un jour l’avant-garde de la Panslavie sur l’Adriatique ; mais c’étaient là de pures visions qui se sont dissipées aux premières lueurs de la réflexion : elles n’étaient point la pensée du pays. La Croatie puisait dans des considérations plus profondes et plus sérieuses les raisons de la résistance qu’elle opposait aux Magyars et de l’entraînement avec lequel elle adhérait au mouvement de l’idée slave. Cependant n’agissait-elle point à l’instigation de l’Autriche ? N’était-elle point la dupe inintelligente d’un système de division ? n’était-elle point un instrument passif de la politique autrichienne inquiète du magyarisme ? Les Magyars n’hésitent pas à le

  1. Voyez, dans la livraison du 15 décembre 1847, la Hongrie et le mouvement magyare.