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précipitation ; c’est une vindicte morale, c’est une exécution de justice qu’elle ne pouvait pas ne pas faire, du moment où elle était investie de cette tâche scabreuse et rigoureuse.

La commission d’enquête devait être de sa nature une difficulté : on n’y prenait point garde au moment de son origine ; c’était un de ces momens où le sentiment des difficultés s’efface et se perd devant le sentiment, bien plus impérieux encore, de l’éternelle justice. La patrie souffrait dans tous ses membres, elle saignait de toutes ses plaies : on avait besoin, non pas de représailles, mais de réparations, car il n’y aura jamais sur la terre de droit consacré, s’il n’y a point aussi d’exacte et d’équitable réparation pour le droit violé. Cette indispensable réparation devait pourtant devenir un embarras chaque jour plus pénible, à mesure qu’on s’éloignerait davantage de ces heures de résolution active où la conscience est prompte, parce que l’évidence est là. Or, s’il est un caractère propre à l’assemblée nationale de 1848, c’est d’aller le moins possible à la recherche des embarras, c’est d’en avoir une appréhension si instinctive, que cette réserve, obligatoire ou volontaire, finit quelquefois par l’empêcher d’agir. Voilà pourquoi sans doute elle a été si troublée des révélations que sa commission d’enquête lui déférait maintenant bon gré mal gré. Et cependant, preuve bien remarquable de l’empire avec lequel s’imposent les expiations dues, l’assemblée que ce rapport gênait, qu’il mettait à si rude épreuve vis-à-vis de certains de ses membres, qu’il inquiétait dans son esprit de paix et de conciliation, l’assemblée dont la majorité n’eût peut-être demandé qu’à supprimer d’un coup de ciseau cette page de son histoire, l’assemblée tout entière en est arrivée, par une pente irrésistible, à décider d’une manière probablement irrévocable qu’elle ferait de cette page un grand, et qui sait ? un terrible chapitre. Après le rapport de la commission, elle exige maintenant les pièces justificatives et toutes les pièces. Ce sont d’énormes dossiers qui seront livrés à la publicité ; on va délier les outres d’Éole : viennent donc les orages ! Nous devons cette justice aux membres qui paraîtraient le plus menacés : ils ont insisté plus que personne pour tout précipiter vers une solution radicale et nette. « De l’audace ! de l’audace ! et encore de l’audace ! » s’écriait Danton. Danton aussi avait de l’éloquence à ses heures.

Quoi qu’il arrive, et quelles que soient nos convictions particulières, M. Ledru-Rollin, M. Louis Blanc, M. Caussidière, se tromperaient étrangement, s’ils croyaient que l’intérêt de la lutte engagée sur le rapport de l’enquête réside exclusivement dans l’alternative de leur défaite ou de leur triomphe, de leur innocence ou de leur culpabilité. Innocentés ou coupables, ils n’en auront pas moins de toute façon terminé leur rôle, et le verdict qui les justifierait ne pourrait même pas leur servir de piédestal. Il n’y a plus de place nulle part pour un piédestal qui les soutienne. La question politique du procès ne repose point sur leurs têtes ; elle glisse par-dessus et se débat ailleurs entre gens qui ne les comptent plus. Il n’y aurait qu’un moyen pour eux de revenir à la surface, de ressaisir le limon qui s’est brisé dans leurs mains, c’est le moyen qu’ils se défendent aujourd’hui si fièrement d’avoir jamais employé. Où donc est le mobile de cette agitation provoquée par l’enquête, puisque la destinée de ceux qu’elle concerne le plus directement n’a point en soi de si haute importance ? Parlons franchement, nous qui ne compromettons que nous-mêmes et n’engageons