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Il n’y a pas jusqu’à notre jeune grandesse républicaine qui ne s’essaie à nous faire les honneurs de sa récente élévation ; il est vrai de dire que nous en avons fait un peu les frais. Le président de l’assemblée nationale, qui, par parenthèse, la préside bien, moitié en gentleman et moitié en pédagogue, M. Marrast a donné, non sans succès, ce bon exemple de sociabilité. Ce n’est pas nous qui ne lui pardonnerons pas de ne s’être point abonné au brouet noir. Voilà sans doute de favorables circonstances, de bonnes garanties ; quoi qu’elles valent cependant et quoi qu’elles promettent, l’effet s’en est trouvé tout de suite amoindri par l’imminence d’un débat rétrospectif, qui ne peut à présent manquer d’éclater, et qui va peut-être refouler la révolution à peine rassise, à peine tranquillisée, dans les souvenirs encore si vifs, dans les rivalités toujours ardentes, dans les passions plus que jamais incroyables de ses étranges débuts. Ce retour en arrière est-il un bien ou un mal ? La question n’est pas là. Pouvait-on ou ne pouvait-on point l’empêcher ? Nous pensons qu’on ne le pouvait pas, et c’est là toute la question.

Le rapport de la commission d’enquête est un accident, mais un accident inévitable. Dans des temps comme celui où nous vivons, il y a souvent de ces choses qui pourraient ne pas arriver et qui arrivent quand même, parce qu’elles répondent au besoin, au cri de la conscience universelle, parce qu’elles sont si bien sur le cours et selon la loi des événemens, que l’homme n’y ajoute presque pas et que toute sa prudence n’en ôterait rien. Rappelons-nous seulement en quelles conjonctures naquit la commission dont l’œuvre est aujourd’hui devenue l’objet de si grands soucis. Le canon grondait et le sang coulait dans Paris ; l’insurrection durait depuis trois jours ; la victoire n’était guère assurée que depuis quelques heures ; elle était payée chèrement ; elle coûtait à la patrie ses plus généreux soldats, tués au viser, mutilés, assassinés par une rage si opiniâtre, qu’elle révélait un fanatisme inculqué de longue main. En même temps que l’imagination se révoltait vis-à-vis de ces horreurs, elle était confondue de l’immensité des ressources dont on disposait derrière les barricades, de l’énorme développement qu’on avait pu imprimer à cette audacieuse agression, de la justesse des calculs avec lesquels l’attaque et la défense avaient été préméditées. Il faut bien nous reporter vers ces tristes tableaux, au risque de passer pour avoir l’âme vindicative, car il est de certaines gens qui placent singulièrement leur pitié, tellement qu’aujourd’hui les vaincus de juin enlèvent tout leur intérêt, absolument comme il advient à Rome, où, quand il se donne un coup de couteau, le peuple plaint celui qui le reçoit un peu moins que celui qui l’a donné. Nous ne sommes point, nous l’avouons, des miséricordieux de cette façon-là, et pareille miséricorde nous est aisément suspecte ; nous ne redoutons rien autant que la clémence qui mène à l’impunité. L’assemblée nationale était pour sûr animée de ces sentimens, hors desquels il n’y a ni liberté ni justice, l’assemblée voulait voir clair chez tout le monde et faire la part de chacun, lorsqu’elle décréta qu’une commission prise dans son sein serait chargée d’élucider et de constater les faits qui se rattachaient soit à la préparation soit à l’exécution des événemens de juin, en remontant du même trait jusqu’à l’attentat du 15 mai.

Quels furent ceux de ses membres à qui l’assemblée confia cette mission délicate ? Elle n’alla pas l’offrir à la montagne. Si la montagne eût daigné s’en mêler, elle en aurait probablement beaucoup appris, et l’enquête dirigée par elle eût peut-être été pour elle aussi facile qu’instructive pour les autres ;