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exemple, la chaux carbonatée (oxide de calcium et acide carbonique), une des substances les plus communément répandues à la surface du globe. Vous la verrez s’offrir à vous tantôt sous la forme de spath d’Islande, en beaux cristaux transparens comme le plus pur cristal, tantôt sous celle de marbre de Carrare, d’un blanc éclatant, opaque et mat, au grain égal et régulier ; plus loin, vous la verrez transformée en albâtre antique aux libres soyeuses ; ailleurs, vous la rencontrerez sous l’aspect d’un calcaire dur et compacte, ou sous celui de craie proprement dite, qu’attaque et désagrège le plus léger contact.

C’est surtout par suite de la cristallisation que se manifestent ces changemens remarquables. Un des effets les plus fréquens de ce phénomène est de rendre transparens des corps qui présentaient naguère la plus entière opacité. Le marbre, le calcaire cristallisés laissent passer librement la lumière dont ils interceptaient auparavant les moindres rayons. Le soufre, le carbone, sont dans le même cas. Qui ne sait aujourd’hui que le diamant et le noir de fumée purifié sont exactement le même corps dont l’arrangement moléculaire a seul varié ?

Cependant l’effet de la cristallisation est quelquefois inverse. Le verre, par exemple, peut prendre l’aspect d’une roche opaque et assez semblable au granité, lorsqu’on le tient pendant long-temps dans un état de fusion tranquille qui permet à ses principes constituans d’obéir à leurs attractions réciproques ; mais souvent, dans ce cas, l’opacité de l’ensemble résulte de la confusion des cristaux irrégulièrement groupés, tandis que chacun d’eux, considéré isolément, reste en réalité translucide. C’est ainsi que la neige, composée de petites aiguilles de glace parfaitement transparentes, n’en présente pas moins l’aspect d’une masse opaque.

La connaissance de la cristallisation et de ses lois est une des parties les plus importantes de la minéralogie. On peut même dire qu’elle seule a élevé au rang de science proprement dite l’étude des minéraux, et par là rendu possible l’exploration régulière et scientifique des matériaux dont se compose l’écorce du globe terrestre. Sans doute un certain nombre d’espèces minérales, employées par l’industrie ou douées d’une valeur commerciale, avaient été depuis long-temps reconnues et déterminées. Les mineurs surtout avaient distingué et désigné par des noms particuliers plusieurs d’entre elles. Ici, comme dans bien d’autres cas, la pratique avait précédé la théorie. Mais il y avait fort loin de ces faits isolés, et que rien ne rattachait entre eux, à un corps de doctrine méritant le nom de science. Il a fallu que la cristallographie vînt donner à la minéralogie une impulsion puissante pour que cette dernière se constituât définitivement.

Long-temps on n’avait vu dans les formes si régulières affectées par certaines substances que des espèces de jeux de la nature. C’était là, on le sait, la grande et commode explication que les savans des siècles passés se donnaient à eux-mêmes et jetaient au public pour répondre à toutes les questions insolubles pour la science du temps. Cependant le spath d’Islande et le cristal de roche firent soupçonner l’existence des lois connues de nos jours. On découvrit que ces deux substances présentaient toujours des formes semblables. Ce fut le premier pas fait dans une voie qui allait devenir féconde.

Linné, dont l’immense génie semble réellement avoir embrassé la nature