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profondément pénétré des périls qui menaçaient l’ordre. Quand, le 25, à minuit, nous reçûmes la nouvelle que la république était proclamée en France, ce fut une stupeur générale. Dois-je vous l’avouer ? on s’était persuadé que le mot de république faisait aussi peur à la France qu’à l’Europe, et on crut d’abord que cette grande résolution prise par le gouvernement provisoire était plutôt une concession faite aux exigences d’un peuple en ébullition qu’une satisfaction donnée aux vœux réels de la nation française.

A Bruxelles, dans la nuit même du 25 février, il y eut une voix qui se fit entendre, à plusieurs reprises, auprès de M. Rogier, pour que la Belgique, à son tour, proclamât la république. Le personnage qui fit cette proposition au gouvernement belge est aujourd’hui un des membres de votre parlement. M. Rogier, pas plus cette fois qu’en 1830, n’écouta ces conseils. Le peuple, représenté par les chambres, devait être le seul maître de ses destinées. Le lendemain, le roi lui-même voulut aller au-devant des vœux de la nation. Les paroles qui furent prononcées alors par Léopold resteront mémorables : « Je ferai, disait-il, ce que voudra le pays ; j’obéirai à ce qu’il croira devoir décider pour son bonheur. » Ces mots, retentissant au dehors, réhabilitèrent le roi, dont l’attitude vis-à-vis du parti catholique avait affaibli la popularité. La réponse de la nation ne se fit pas attendre, elle fut unanime : « la constitution, toute la constitution, rien que la constitution. »

Quelle fut, à partir de ce moment, l’attitude du parti radical ? Peu de jours après le 24 février, il avait tenu une réunion publique, où il s’était élevé à l’apogée de son courage ; il avait osé dire au peuple belge que, jusqu’à ce jour, il avait dissimulé en proclamant sa fidélité à la constitution. Ce jour-là, il avait jeté complètement le masque, il avait foulé aux pieds cette bourgeoisie qu’il adulait naguère pour lui demander ses voix et son concours. On avait traité les électeurs de Bruxelles surtout comme des misérables et des lâches, et la capitale comme une ville d’Asie livrée à quelques Sardanapales. Ce langage audacieux s’expliquait par de coupables espérances. Paris était plein de menaces. On y avait fondé des clubs, composés de soi-disant Belges qui devaient venir affranchir leur pays du joug qui pesait sur lui. Nous avons lu ces proclamations, qui ont provoqué ici une hilarité générale, mais qui n’en ont pas moins causé de vives inquiétudes, car nous avons cru y voir un instant le doigt de la France. A la suite de cette levée de boucliers des soi-disant libérateurs belges, pourquoi le cacher ? il y eut un moment d’irritation contre votre pays ; mais l’indignation fut plus grande encore contre les faux patriotes dont l’incroyable conduite pouvait attirer sur la Belgique de si cruels orages. La presse radicale semblait se plaire d’ailleurs à exciter contre notre gouvernement la susceptibilité française. Chaque jour, elle dénonçait calomnieusement les tendances hostiles de la Belgique contre la France ; on déclarait que nous armions cent mille hommes. Je vous fais grâce des autres dénonciations : il faudrait entasser des puérilités. De simples précautions prises par le général Chazal pour mettre la Belgique à l’abri d’un coup de main, voilà ce que la presse radicale érigeait en préparatifs insensés, en armemens tournés contre la France. Nous n’avions pas peur que la partie éclairée de votre nation se méprit sur notre altitude, mais il y avait à Paris des hommes qui se souvenaient toujours de 1815, et qui voulaient nous sacrifier à leur impérissable