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sur les dépôts de mendicité et sur les écoles de réforme pour les jeunes détenus. On réorganisa les monts-de-piété sur de meilleures bases ; on s’occupa d’améliorer le sort des détenus dans les prisons ; on vota enfin 5 millions pour travaux aux chemins de fer de l’état et pour matériel supplémentaire. Tout cela peut faire rire certains utopistes qui promettent aux travailleurs de changer immédiatement la terre baignée de leurs sueurs en un lieu de délices ; mais la Belgique, nous le répétons, n’a point le goût des grandes expériences : son ambition a été de faire quelques pas de plus dans la voie des réformes utiles ; elle n’a point prétendu toucher le but.

Après avoir ainsi satisfait aux exigences que lui créaient d’une part les difficultés amassées et non résolues par les catholiques, de l’autre l’attitude de l’opposition radicale, le cabinet Rogier avait encore à se préoccuper de faire pénétrer dans quelques branches de nos institutions l’esprit libéral dont il était animé. Les lois contre les franchises communales et électorales furent abrogées et remplacées par des lois plus en harmonie avec noire système politique. On présenta une loi sur les postes qui abaissait le port des lettres à l’intérieur au taux uniforme de 20 centimes. Enfin, sous l’impression des événemens du 24 février, le ministère, qui n’avait promis, avant cette date solennelle, qu’une loi sur l’adjonction des capacités aux listes électorales, abaissa d’un trait de plume le cens jusqu’aux dernières limites de la constitution : 20 florins ; c’est ainsi que le nombre des électeurs s’est vu immédiatement doublé. La garde civique, qui n’avait plus donné signe de vie depuis long-temps, fut réorganisée par une loi. A la presse il ne restait désormais qu’un avantage à conquérir, la suppression du timbre. Cette suppression fut proposée par le cabinet et votée à l’unanimité. Cette série de réformes importantes fut close par un acte plus hardi qu’aucun de ceux qui l’avaient précédé. Le pays désirait que l’accès du parlement fût interdit aux fonctionnaires amovibles ou non. Le ministère craignait que Cette loi d’exclusion, en privant le parlement du concours de beaucoup d’hommes expérimentés, n’entraînât de fâcheuses conséquences : il voulut sauver quelques catégories ; les chambres s’y refusèrent. L’élimination pure et simple de tous les fonctionnaires fut votée à une immense majorité. C’est après ce vote, qui devait naturellement être le dernier mot de la législature, que les chambres furent dissoutes en mai, et les électeurs convoqués pour le 15 juin dernier.

Tels sont les actes du cabinet Rogier antérieurs à la récente épreuve électorale. Avant de préciser la situation que lui fait cette épreuve, avant d’indiquer les nouvelles réformes qu’il prépare, nous croyons utile de mettre en regard de la sage politique des libéraux les tentatives du parti radical. Quelques mots sur les qualités essentielles qui ont de tout temps distingué l’esprit public en Belgique feront mieux ressortir la puérilité de ces tentatives.

La fortune de ce pays est, il faut le dire bien haut, dans le bon sens des populations plus encore que dans le système politique qui les régit. Je ne me suis jamais dissimulé que la constitution belge, livrée à un peuple impatient et passionné, serait un péril permanent pour la société. L’honneur du parti libéral est d’avoir, même dans l’opposition, respecté cet instinct de haute prudence qui distingue éminemment la nation belge. Il pouvait arriver au pouvoir par un chemin plus court ; il lui eût été aisé, en agitant les passions populaires,