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méconnaître la puissance de nos institutions vraiment républicaines. Si l’esprit moderne consiste dans la pratique intelligente et ferme des plus larges, des plus complètes libertés, il y a long-temps que son invasion est, pour la Belgique, un fait accompli. Savoir user sans abuser des franchises inscrites dans la loi, savoir s’associer avec ordre, avec discipline, et se réunir pour traiter de la chose publique sans se livrer aux saturnales de la démagogie, c’est là, si je ne me trompe, une garantie suffisante donnée par le peuple belge de sa maturité libérale. Nous sommes sans doute trop jeunes pour avoir des prétentions d’initiative, mais un jour viendra peut-être où cette modeste ferme-modèle politique, qu’on appelle la Belgique, verra ses progrès mieux appréciés, son utilité mieux reconnue. En attendant, nous avons quelque peur d’un travail social qui veut s’imposer par la violence, et, tout en admettant, avec la plupart des penseurs modernes, qu’il y a quelque chose à faire, nous pensons que le rôle d’explorateurs aventureux ne convient pas à notre faiblesse. De plus forts que nous peuvent se dévouer pour ouvrir à l’humanité des voies nouvelles : nous admirons leur héroïsme, nous ne l’imiterons pas.

Vous apprécierez, monsieur, le sentiment qui m’a fait oublier un moment mon rôle d’historien. Je reprends maintenant ce rôle, de plus en plus délicat à mesure que je m’approche de l’époque actuelle. Nous avons vu le parti libéral dans l’opposition, nous le retrouvons aux affaires. La journée électorale du 8 juin 1847 lui a donné une majorité puissante. Deux causes cependant de préoccupations sérieuses viennent dès ce moment compliquer sa tâche. D’une part, c’est l’héritage du parti catholique, dépôt onéreux qui va nécessiter d’innombrables réformes, depuis la base de l’édifice politique, les finances, jusqu’au faîte, l’instruction publique ; de l’autre, c’est une opposition nouvelle qui s’est formée dans le pays, et principalement en dehors des chambres. Cette opposition se prétend tour à tour radicale, républicaine, constitutionnelle, selon qu’elle suppose l’esprit public prêt à prendre le change sur ce qu’elle ose appeler ses principes, mais ce qui n’est en effet qu’un mélange de mécontentement, d’envie et de présomption. Quelques mots sur cette opposition de fraîche date sont, avant tout, nécessaires.

Déjà, je l’ai dit, lors du vote de la constitution de 1831, il y avait en Belgique, sur deux cents votans, treize partisans de la république. Ces hommes, dont deux ou trois seulement ont conservé une importance relative, tendaient alors à créer une sorte d’école ; mais le succès ne couronna point leurs efforts[1]. Ils ne réussirent qu’à former un de ces groupes qui, dans les pays constitutionnels, représentent l’alliance de quelques ambitions plutôt qu’une force vraiment politique. Si faible que fût ce groupe, il pouvait cependant se maintenir et attendre l’occasion de se fortifier que les péripéties parlementaires promettaient de lui offrir. C’est ce qui arriva en effet, et, lorsqu’une intrigue du sénat eut écarté du pouvoir les libéraux modérés, l’occasion attendue se

  1. Un journal, le plus influent d’alors, car il comptait près de cinq mille abonnés avant les journées de septembre, chercha à faire de l’opposition avancée, et son insuccès fut si éclatant, que, peu d’années après, le nombre de ses abonnés ne s’éleva plus qu’à cinq cents. Il avait perdu les neuf dixièmes de ses lecteurs, et il fut réduit à se jeter dans les bras d’une puissante société financière.