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la force morale. Ces moralistes mirent en usage un procédé fort usité dans le pays, qui consiste à amasser aux portes et aux fenêtres des masses de matières combustibles, à y mettre le feu, et à enfumer les habitans du logis comme des jambons. Il y avait des femmes ; on les fît monter dans les étages supérieurs ; les hommes étaient venus avec des armes, ils se retranchèrent et se barricadèrent avec les meubles : il y eut plusieurs blessés, et ce divertissement national ne se termina que lorsque le maire survint avec la police pour séparer les combattans. Ce pauvre M. O’Brien s’en alla la figure brisée ; M. Mitchell et M. Meagher s’échappèrent avec peine dans une voiture qui prit le galop. Notez bien que la jeune Irlande était ainsi battue par des partisans du rappel, et que c’était encore la police du gouvernement anglais qui était obligée de se mettre entre les deux !

Après le procès et la condamnation de Mitchell, les Irlandais essayèrent encore une fois de la conciliation ; cette fois, ce fut la vieille Irlande qui se trouva en baisse : elle fut absorbée par le parti de la force physique. M. John O’Connell, le modeste héritier du grand Dan, se vit forcé de dissoudre l’association du rappel, faute de fonds. Décidément, la concurrence l’emportait ; la jeune Irlande faisait plus de bruit et attirait plus de monde. M. John O’Connell fit une tentative pour réunir les deux partis dans une ligue commune, mais il en reconnut bientôt l’impossibilité ; le clergé catholique, d’ailleurs, ne voulait pas entendre parler de fusion avec les jacobins et les incrédules de la jeune Irlande. Dans une réunion des deux confédérations, le fils d’O’Connell vit tous ses anciens associés voter contre lui ; alors il leur dit : « La voix publique a prononcé contre moi, je me soumets à son arrêt. Allez donc en avant, puisque vous le voulez ; quant à moi, j’ai encore des scrupules que je ne puis vaincre, et je me retire dans la vie privée. » La petite église de la force physique resta donc seule maîtresse du terrain, et se jeta plus aveuglément que jamais sur la pente de la guerre civile.

Elle ne garda plus aucune mesure, et chaque jour elle répandit, par milliers d’exemplaires, des provocations à l’insurrection armée. Après la suppression du journal de M. Mitchell, l’United Irishman, il en apparut un autre avec le titre du Félon Irlandais. Comme les Gueux des Pays-Bas, les Irlandais convertirent en un titre d’honneur le nom dont on avait voulu les stigmatiser. L’orateur le plus brillant et le plus populaire du parti, M. Meagher, disait dans l’assemblée de la confédération : « Souvenons-nous que nous avons à venger John Mitchell, que jusque-là nous avons une tache noire sur notre cœur. Quant à moi, je suis prêt à le suivre. Les Anglais disparaîtront de ce pays ; les générations se légueront la haine de l’iniquité anglaise. Nous braverons la loi, et, si l’on nous entoure de baïonnettes, nous nous ferons jour avec la flamme