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continuait à provoquer de toutes ses forces le lord-lieutenant, boucher général de l’Irlande, et il lui disait : « Vous n’osez pas faire saisir mon journal. C’est tout simple ; l’Irlande n’est pas gouvernée par la loi, mais par le sabre ; vous n’êtes pas un lord-lieutenant, vous n’êtes qu’un boucher. Quant aux articles de ce journal, ils seront continués de semaine en semaine jusqu’à ce qu’ils aient produit leur effet, non pas une simple émeute dans la rue, mais un armement universel, destiné à chasser de cette île les bouchers anglais et à planter le drapeau vert sur le château de Dublin. »

Lord Clarendon se décida enfin à satisfaire aux vœux de M. Mitchell et de ses amis. Des mandats de comparution furent lancés contre le rédacteur de l’United Irishman et contre M. Smith O’Brien et M. Meagher. Les trois prévenus furent admis, selon la loi, à fournir caution ; ils furent portés au tribunal sur les épaules du peuple ; en sortant de la salle, ils haranguèrent plusieurs milliers de spectateurs ; M. Mitchell déclara que ses articles avaient été écrits précisément pour insurger le peuple, et qu’il les continuerait ; M. O’Brien et M. Meagher annoncèrent qu’ils partaient pour la France et qu’ils reviendraient soutenir leur procès, et une souscription fut immédiatement commencée pour en couvrir les frais.

Le procès des martyrs, comme on les appelait, parut donner un nouvel élan à l’agitation. De toutes parts, les clubs s’organisaient, se disciplinaient et s’armaient. La fabrication des piques se multipliait ; de nombreux convois d’armes arrivaient d’Angleterre, et tout cela se faisait publiquement, à la face du soleil. Les confédérés décidèrent la formation d’une garde nationale, et adressèrent au peuple une proclamation dans laquelle ils disaient : « Citoyens, ceci est le commencement de la fin. Soyez sages, soyez prudens, mais soyez hardis. Un pas en arrière, c’est la mort. Regardez autour de vous et voyez si le moment n’est pas venu. Aux quatre coins de l’horizon retentit le tonnerre de la Liberté. On peut lire ses leçons à la lueur des trônes qui brûlent, et entendre ses échos dans les pas des tyrans qui fuient... »

Les orateurs n’étaient pas moins véhémens. L’un d’eux disait, par exemple : « Pour chaque prisonnier que fera lord Clarendon, nous lèverons mille soldats, pour chaque cheveu qui tombera d’une tête….. mais ne parlons plus de cela, car avant ce temps-là nous aurons forcé les prisons ; chaque rue de cette ville aura sa bataille, chaque pavé sa rosée de sang ; chaque pouce de barricade sera défendu jusqu’à ce que le dernier de nos retranchemens soit devenu le tombeau de toute la race irlandaise. Un grand mouvement parcourt l’univers. L’autre jour, c’était à Paris, et la plus forte dynastie du monde est tombée eu pièces. Demain ce sera ici ; la semaine prochaine, trois cent mille chartistes auront Londres dans leurs mains. Préparons-nous pour ce jour-là,