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l’eau ou de la graisse bouillantes, ou mieux encore du vitriol, s’ils en ont. Le plomb fondu est excellent, mais trop dispendieux ; il doit être réservé pour faire des balles. Surtout prenez bien soin de couler des balles pleines, comme on fait à Paris. On ne peut rien calculer avec une balle creuse ; elle pourrait être précisément celle destinée à un officier-général.

« 3° Les Parisiens ne commettent jamais la faute d’attaquer d’abord les casernes. Leur plan consiste à attirer la troupe dans les petites rues, où elle ne peut avancer que sur un front très étroit. Ils l’attaquent sur les flancs et par derrière, du fond des allées et des angles des rues. Le combat de la rue harasse la troupe disciplinée, surtout lorsqu’elle reçoit des fenêtres et des toits les marques d’attention dont je viens de vous parler ; elle se divise, se rompt, et devient bonne à rien. Les Parisiens ne se font pas faute aussi de concentrer leurs ennemis dans des casernes isolées, afin de pouvoir en finir avec eux d’un coup. Ils savent bien que s’ils viennent à couper les communications entre les différens quartiers, si les ordres du commandant ne peuvent plus circuler, si les casernes sont isolées les unes des autres, si les commandans inférieurs sont laissés à leurs propres ressources, ignorant ce qui se passe à quelques pas d’eux ou de l’autre côté de la ville, il n’y a bientôt plus de gouvernement. Les hommes habitués à commander sont impuissans quand ils ne peuvent plus commander. Dans ces cas, la discipline est précisément le plus grand ennemi du soldat ; il est ahuri et stupéfié. Les Parisiens, qui savent tout cela, bloquent tous les bâtimens qu’ils peuvent prendre, qu’ils aient ou non une garnison ; ils jettent dans les rues des morceaux de verre, des pierres, etc., barricadent les ponts, coupent les communications entre les deux côtés de la rivière et entre les différens corps-de-garde ou casernes, et tout cela par des moyens qu’il s’agit maintenant de vous expliquer.

« 4° Ainsi que je vous l’ai dit, et en tirant par les fenêtres, on fait de chaque rue un défilé. De plus, chaque rue renferme de quoi devenir une forteresse imprenable à l’infanterie, à la cavalerie, à l’artillerie, au moyen des barricades. Pendant que les femmes sont employées comme nous l’avons indiqué, c’est la besogne des hommes. Les Parisiens excellent à construire ces remparts de la civilisation. Voici leur manière : un ou deux hommes, à l’aide de leviers, déchaussent les pavés d’une rue dans une étendue de plusieurs pieds en moins d’un quart d’heure. On arrête les premières voitures qui passent, on arrache les arbres voisins ou les poteaux des lanternes. Ils empilent dessus des pierres, des drapeaux, de la boue, des gravas, des morceaux de bois, des meubles. Ils font la barricade aussi verticale que possible, la couvrent avec les plus petites pierres, parce que celles-ci glissent sous les pieds des assaillans, tandis que les grosses pourraient servir d’escalier. La barricade doit avoir une hauteur proportionnée à la base, et, si les matériaux manquent, on se les procure en abattant une maison. La ligne de défense s’étend dans toute la longueur de la rue. En dedans, on élève une plateforme jusqu’à la hauteur de quatre pieds au-dessous du sommet de la barricade, de telle sorte que l’insurgé puisse appuyer son fusil et viser juste. Il doit être toujours facile de monter sur la plateforme ; un escalier de pierre est ce qu’il y a de plus commode. Tout cela n’est pas parfait, mais un révolutionnaire n’est pas difficile ; il se contente de ce qu’il peut et combat. Du reste, on peut faire mieux encore : on peut creuser un fossé de quelques pieds