Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/575

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avons déjà dit, sur cette matière toujours prête en Irlande, la misère. Or, jamais, dans aucun temps. Dieu n’aurait pu mettre dans la main des hommes une arme plus terrible. L’insurrection est comprimée, on pourrait croire que tout est fini ; eh ! grand Dieu ! non, cela commence. On ne peut pas se faire une idée de l’état épouvantable dans lequel est l’Irlande. Toutes les horreurs de l’année dernière, la fièvre et la peste suivant comme des vautours le spectre de la famine, apparaissent déjà dans l’air. Déjà cet aliment de tout un peuple, la pomme de terre, montre à sa surface le signe désespéré de la consomption et de la mort, et des millions de regards en suivent jour par jour les progrès. Ah ! reverrons-nous donc ces scènes indescriptibles, ces femmes et ces enfans mourant dans les ruisseaux, aux portes des hôpitaux encombrés, et trois millions de créatures humaines venant recevoir chaque matin la soupe de l’état ? L’Angleterre y a dépensé, l’année dernière, plus de 250 millions ; elle a cru qu’elle se débarrasserait de cet écrasant fardeau en le rejetant sur les propriétaires d’Irlande, et le parlement a voté la loi des pauvres ; mais que veut-on faire d’une taxe des pauvres dans un pays où les propriétaires sont aussi pauvres que les pauvres ? Nous avons, il y a quelques mois[1], parlé, dans cette Revue, de la loi votée par le parlement britannique ; nous avons dit quels effets en attendaient tous ceux qui connaissent le mieux la situation et les mœurs du pays. Veut-on voir, par exemple, ce qu’en disait, en pleine chambre des lords, l’archevêque de Dublin ? Voici ses propres paroles :


« Vous aurez bientôt en Irlande, non plus deux millions de pauvres, comme aujourd’hui, mais trois, mais quatre millions. Déjà, en beaucoup d’endroits, les campagnes, avec les fermes abandonnées, ressemblent aux déserts de l’Arabie. Je ne parle point dans l’intérêt des propriétaires irlandais, ni pour préserver leurs terres de la confiscation, car confisquées elles seront. Je parle plutôt pour ce malheureux peuple, qui bientôt sera dans une détresse plus grande que jamais, parce que, quand tout le revenu du pays aura été absorbé, et que les terres seront abandonnées comme des sables, les souffrances deviendront incalculables. On imposera des taxes, et la ruine se propagera comme le feu. On ne pourra lever que la moitié de la première taxe ; alors on en imposera une seconde. De celle-ci on ne lèvera que le quart ; alors on en imposera une troisième, mais qui ne rendra rien du tout. Voilà quelle sera la marche de votre loi des pauvres. Quand les taxes ne rendront plus, on fera appel soit aux districts voisins, soit au trésor public. Si l’on veut frapper d’un impôt additionnel un district voisin, il deviendra aussitôt insolvable, et, comme dans le commerce la banqueroute d’une maison entraine la chute de plusieurs autres, l’insolvabilité d’un district amènera aussi celle de beaucoup d’autres. Le mal s’étendra comme un incendie dans toute l’Irlande, jusqu’à ce que le royaume-uni tout entier soit obligé de s’imposer une taxe nouvelle, et c’est ainsi qu’on arrivera précisément à ce qu’on veut fuir. Je

  1. Livraison du 15 septembre 1847.