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du présent, il y a dans les lettres quelque chose de nécessaire et de vivace qui doit résister à tous les chocs et leur assure un imprescriptible ascendant. Les formes sociales se modifient, les lettres restent ce qu’elles sont essentiellement, l’expression de ce qu’il y a en nous de plus vivant, de plus noblement passionné, de plus délicat, de plus immortel. Elles sont l’actif et généreux instrument de l’unité morale des peuples ; sous toutes les faces qu’elles peuvent revêtir, — poésie, histoire, philosophie, critique, — sous leurs mille aspects, elles ont leur place dans toute société civilisée, car elles en sont la pensée même. C’est cette pensée qui ne saurait abdiquer et périr, dont le travail traditionnel se poursuit à travers toutes les agitations publiques. Et puis, en dehors de tant de raisons générales et décisives, lorsque la réalité est pleine d’incertitudes et de violences, lorsque les déchiremens se succèdent au souffle des passions aveugles ou haineuses, n’y a-t-il pas une sorte de volupté amère à se réfugier dans ce monde idéal où l’esprit se tempère et s’élève, où celui qui sait voir peut trouver, dans les manifestations les plus lointaines et les plus diverses du génie de l’homme, la consécration de tout ce que la folie des utopistes cherche à ébranler, de cette pauvre liberté de l’être individuel tant ballottée et sacrifiée à je ne sais quelle promiscuité monstrueuse, de ce droit d’arroser un coin de terre de ses sueurs et d’y mettre son orgueil et sa joie, de ce foyer intime et sacré qui est la plus sûre école où l’on puisse apprendre à aimer cette autre famille, la patrie, et ensuite la grande famille humaine ?


CH. DE MAZADE.