Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consacré de probité morale, si bien fait pour servir de modèle à ceux que leurs facultés désignent pour le maniement des plus grands intérêts d’un peuple, comme à ceux dont la vie se passe dans les obscurs devoirs d’une obscure condition.

Ce sont là bien des observations critiques sur un ensemble de travaux dont le mérite éclate à chaque page, à l’égard d’un talent des plus vigoureux, des plus séduisans, qui vous entraîne à sa suite dans ce qu’on pourrait appeler un voyage autour du monde littéraire, et vous associe à ses plus secrètes impressions. Je les fais, parce que, entre des esprits qui se respectent, la critique ne saurait être un dialogue de louanges affadies, d’adhésions sans liberté, parce que, dans ce siècle où un prurit universel pousse chacun à se produire, à faire son livre, son journal, son prospectus, son affiche, on ne critique pas tout le monde, et que la discussion est le seul moyen de marquer la différence entre l’écrivain supérieur et l’écrivain de hasard. Si, en allant au fond des choses et en jetant les yeux autour de soi, on demande encore à quoi bon, dans la chaleur de nos préoccupations, consacrer un seul instant à de tels objets, à une étude où il n’est question ni de l’organisation du travail, ni de la démocratisation du capital, ni de l’association, ni de l’impôt progressif, quel intérêt il peut y avoir dans la simple révision de quelques idées littéraires, dans un calme retour sur quelques points d’histoire ou d’art, il est aisé de répondre que cet intérêt littéraire est un des premiers intérêts de la France, que là est un des signes les plus caractéristiques de sa grandeur, et que ce n’est point pour les lettres une raison d’abdication, parce qu’elles ont à partager les conditions douloureuses d’une commune épreuve, parce qu’elles ont à subir l’injure stupide de vulgaires sophistes, l’indifférence des meilleurs, l’oubli d’un public si violemment distrait. Chacun, il est vrai, au sein d’une crise prolongée, a ses heures de découragement, ses instans de mortelle défaillance ; chacun a ses jours où il se dit aussi en lui-même : A quoi bon ! Sans doute le flot, jusque-là inaperçu, qui est monté soudainement, a emporté bien des projets, confondu bien des espérances, troublé bien des rêves paisibles d’existence studieuse, étouffé ou ajourné plus d’une tentative féconde ; sans doute d’inévitables changemens s’introduiront dans nos habitudes intellectuelles ; dans des circonstances nouvelles, il faudra de nouveaux efforts ; les intelligences ont à retrouver leur voie, à se dégager de leurs incertitudes, à ressaisir une inspiration nette qui les anime et les dirige. Après avoir beaucoup fait, il faudra s’avouer, sous peine de déchéance, qu’il reste encore à faire. Vaste mouvement de transition où les causes et les chances de naufrage sont aussi nombreuses que celles de succès ! Et il est cependant un instinct plus fort qui nous avertit que, quelles que soient les anxiétés