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regarder de très près les choses et à regarder même dessous, dedans et derrière la coulisse... » Cela explique tout un côté du talent de M. Chasles. Ce désabusement que je signalais a tourné chez lui au profit de l’observation, d’une observation large, pénétrante et hardie, qui est devenue la passion. Aussi, quand il étudiera quelque épisode de l’histoire, quelque individualité éclatante, ne croyez pas qu’il s’arrête à la surface des événemens, si souvent obscurcis par l’esprit de parti ou l’esprit de secte, à cette succession visible d’incidens matériels, symptômes fugitifs de la vie sourde et profonde qui fermente au sein d’un peuple, à ces traits extérieurs et factices dont un homme se pare sur le théâtre qu’il envahit. Tout ce qui est notoriété officielle, vérité vulgaire, simple apparence, M. Philarète Chasles le considère avec une indépendance ironique de jugement souvent poussée jusqu’à la révolte. Ce qu’il aime et ce qu’il poursuit, c’est la réalité dans ce qu’elle a de vivant et d’énergique ; ce qu’il cherche sous le voile des faits, c’est le jeu des passions de toute sorte, — passions politiques, religieuses, nationales, — qui portent en elles le secret des révolutions, qui sont comme le ressort invisible des caractères individuels et entrent plus d’une fois aussi, comme un élément essentiel, dans le succès des œuvres littéraires ; c’est la marche incessante de la moralité humaine qui se propage, se transforme, progresse ou s’atténue à travers les temps, à travers des luttes toujours nouvelles, et, dans cette suite de combats mystérieux, offre un drame bien autrement palpitant et instructif que les disputes abstraites sur le mécanisme fragile d’une constitution passagère. C’est là le point de vue où se place le libre écrivain dans ces monographies dont le cadre s’élargit aisément sous sa plume, et qu’il a consacrées tour à tour à l’agitateur Shaftesbury et à l’éloquent Burke, à l’élégant et mondain Chesterfield, comme à ce praticien corrupteur de la politique qu’on nomme Walpole ; à Franklin, le héros civil de la liberté américaine, et à combien d’autres encore ! C’est ainsi qu’il compose son œuvre, interprétant les faits avec une sagacité des plus hardies, ouvrant des aperçus ingénieux et nouveaux, faisant revivre les personnages, ressaisissant leurs instincts, leurs passions et jusqu’à leurs intimes habitudes, remontant à la source des émotions, des engouemens, des enthousiasmes ou des haines qui agitèrent une époque, trouvant des rapports imprévus entre les temps et les hommes, rattachant les uns et les autres à des lois génératrices et éclairant cet ensemble des reflets d’une imagination énergique. Que résulte-t-il de cette élaboration ardente de tant d’élémens divers ? A côté de l’histoire, qui a ses conditions, sa rigueur et sa mesure, ce sont des tableaux de genre pleins de mouvement, brillans de couleur, de vraies fantaisies historiques, qui ont le mérite de replacer sous vos yeux bien des détails familiers, intimes, inconnus peut- être, où la science ne peut descendre, de tous montrer une image