Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

érudition superficielle, obscurcie par la passion, ou laissée dans l’oubli par l’indifférence, qui n’ait été fouillée et éclairée d’un nouveau jour, et ce n’est pas seulement sur les siècles les plus brillans, ces sortes de grandes routes de l’art, que l’attention s’est portée : c’est de préférence peut-être sur ces périodes plus difficiles, plus confuses, où le génie français hésite, se hasarde dans tous les sentiers, se livre à toutes les tentatives, s’assimile toutes les substances par l’imitation, et réunit lentement, heure par heure, le faisceau de qualités et de forces qui doit, par la suite, soulever le monde. De là cette multitude de travaux sur le moyen-âge littéraire, sur le XVIe siècle, unique moyen de restituer à ce grand mot si souvent invoqué, — la tradition, — le sens large et élevé qu’il mérite. On peut suivre ainsi l’esprit critique s’exerçant sous toutes les formes et sur tous les points, s’aiguisant au feu de son activité même, s’étendant et se fortifiant par la comparaison des diverses littératures, s’élevant à la hauteur de la psychologie ou de l’histoire, soit par une étude attentive de l’homme dans sa nature essentielle et invariable, soit en rattachant l’écrivain et son œuvre au temps qui les a vus naître. Ce qu’il faut surtout remarquer, c’est ce progrès qui fait inévitablement entrer désormais une part de création dans toute critique hautement comprise, en comblant jusqu’à un certain point l’intervalle qui la séparait de l’art proprement dit. Reconstruire une époque tout entière, une littérature, une langue, comme l’a fait Renouard ou Fauriel à l’égard de cette phase de la civilisation qu’on nomme l’ère romane, n’est-ce point créer en effet ? Recomposer un personnage fameux, — qu’il s’appelle Washington ou Shakspeare, Cervantès ou Machiavel, Pitt ou Byron, que ce soit un politique ou un poète inspiré, — lui rendre l’animation et la vie, la vérité de son attitude, rallumer, pour ainsi dire, en lui le feu de son génie, retracer, en un mot, ce drame d’une grande destinée, n’est-ce point l’acte fécond d’une intelligence souvent capable de produire par elle-même ? Saisir dans les œuvres littéraires le mystère des agitations morales d’un siècle, parcourir, le flambeau de l’observation à la main, le cercle des évolutions paisibles ou orageuses de la pensée humaine, et décrire les lois qui régissent ces mouvemens magnifiques, cela ne dénote-t-il pas des qualités d’intuition et de force créatrice qui ôtent à la critique ce caractère négatif si propre à affaiblir son crédit et à la maintenir dans un état d’infériorité ? Il résulte d’un tel développement des idées critiques que, dans cette portion du domaine intellectuel, il a pu se former toute une famille d’écrivains d’une originalité réelle, digne à leur tour qu’on leur applique cet art qu’ils ont su vivifier et agrandir.

Par la nature et les tendances de son talent, M. Philarète Chastes peut justement prétendre à un rang distingué dans cette élite de penseurs littéraires. Si on ignore ce que peuvent produire vingt années