Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saurait séparer, dans ses ouvrages, les libres élans de la Muse et les graves enseignemens de la politique. N’est-ce pas là un privilège rare et qui atteste un maître ?

La sévère pensée de M. Sealsfield ne s’inspire pas seulement du tableau des choses humaines ; le poète sait dérober à la magnifique nature qui l’entoure les plus neuves et les plus riches couleurs. J’ignore si M. Sealsfield appartient aux états du nord ou aux états du sud ; quelques-uns de ses récits se passent à New-York et à Philadelphie, les autres dans la Louisiane ou l’Arkansas ; j’inclinerais pourtant à croire que l’auteur de Nathan est né dans le sud, dans cette belle Louisiane qu’il a si brillamment décrite, non loin de ce Mississipi qui lui a fourni tant d’admirables paysages. Avant M. Sealsfield, un seul homme avait compris la poésie de ces grands spectacles ; il semblait même qu’il l’eût épuisée, et certainement il était difficile de décrire après Chactas les soleils couchans du pays des Natchez et les hautes herbes du Meschacébé. M. Sealsfield a su échapper, et par son talent même et par la situation de son esprit, à une comparaison si périlleuse. Le grand écrivain que pleure la France portait dans les déserts de l’Amérique la mélancolie du vieux monde, il y portait une imagination attristée par la ruine d’une société tout entière, et., mêlant les sombres pensées de l’Européen à la splendeur immaculée de la nature sauvage, il composait de ces hardis contrastes une poésie qu’on ne surpassera pas. La pensée de M. Sealsfield est naturellement toute différente, et c’est ainsi qu’il peut rester original en retraçant les mêmes paysages que l’auteur d’Atala et de René. Ce ne sont pas les pensées de mort qui préoccupent M. Sealsfield ; il foule un sol vivace où tout est jeune et nouveau. Comme René chez les Natchez, Chateaubriand ne peut s’empêcher de songer aux ruines de l’Europe. « Ici, s’écrie l’auteur de Nathan, point de ruines, point de châteaux démantelés, point de forteresses découronnées ; cette terre est à nous ; bien plus, elle est notre œuvre, et ne porte que notre empreinte. Il n’y a pas de fantômes, empereurs ou rois, comtes ou ducs, qui viennent obséder notre esprit. Nous n’avons jamais été les fermiers de ce sol ; nous en sommes tous les créateurs et les maîtres. » Et il dépeint avec un mâle orgueil cette noble terre du travail ; les belles plantations entourées de magnolias se détachent sur les forêts sombres ; le Mississipi roule ses eaux mugissantes, que sillonnent fièrement les bateaux à vapeur ; partout est la main de l’homme, et partout circule la vie, une vie active, infatigable.

On dit que M. Sealsfield a quitté cette terre d’Amérique qui lui a prodigué des inspirations si belles. Retiré depuis quelques années déjà dans la Suisse allemande, il est venu sans doute y recueillir le fruit de ses travaux, non loin du pays à qui il les a dédiés. Peut-être, puisque ce n’est pas en Allemagne, mais dans une démocratie, qu’il a fixé sa