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repentir et son courage, meurt, frappé d’une balle, dans les bras de l’alcade et du colonel Morse.

Il est difficile de lire cette dernière scène sans que les larmes viennent aux yeux. A travers la bizarrerie de l’alcade, quel admirable cœur ! quel trésor de générosité et de patriotisme ! Sa sollicitude pour le meurtrier, ses mille efforts pour purifier cette âme énergique, pour la rendre utile au pays, tout cela est d’une inspiration profondément religieuse. Citons encore un détail. En dépit de l’alcade. Bob avait été condamné à être pendu aux branches du Patriarche, et c’est l’alcade qui l’avait sauvé, malgré sa résistance, sous l’ombre même de l’arbre fatal. Au moment où l’alcade menait le meurtrier au supplice, il lui faisait réciter une prière ; cette prière inachevée, ils la reprennent ensemble au milieu des balles qui sifflent, et Bob, couvert de sang, demande à l’alcade s’il est content de lui. L’alcade atteint ici à une véritable grandeur, et ces deux figures, l’une plaisamment étrange, l’autre sinistre et sombre, sont transfigurées tout à coup par le patriotisme. Toutefois, malgré tant de belles scènes, on doit adresser plus d’un reproche à l’artiste. Si M. Sealsfield a jeté dans ce récit des beautés de premier ordre, il ne s’est pas donné le loisir de les coordonner harmonieusement. Je vois des fragmens admirables, des matériaux du plus grand prix ; je regrette que le monument n’existe pas. C’est, j’ose le dire, une magnifique ébauche ; ce n’est pas le roman que M. Sealsfield nous a fait entrevoir, ce n’est pas l’audacieuse contre-partie de Nathan qu’il avait semblé nous promettre.

L’analyse des romans de M. Sealsfield a dû montrer, je l’espère, quelle est la grandeur naturelle de cette saine imagination. L’Amérique a-t-elle enfin produit un de ces poètes originaux qui savent consacrer par d’idéales créations l’âme et le génie d’un peuple ? Je crois qu’on peut l’affirmer ; je crois que l’auteur du Maître légitime, du Vice-roi, de Nathan, l’aimable confident de George Howard, le peintre énergique de Bob et de l’alcade a donné un vivant tableau de la démocratie américaine. Cette forte et laborieuse société, aucun poète, aucun romancier ne l’avait consacrée ainsi dans sa vie familière et sa dramatique histoire. Pénétré d’un religieux respect pour les lois de son pays, M. Sealsfield n’a jamais été infidèle à cette austère inspiration ; il est vraiment le poète du patriotisme et de la démocratie. Cette conviction enthousiaste, on a vu comme il la fonde soigneusement sur la raison, comme il dégage sa foi des superstitions mauvaises, comme il s’efforce enfin de purifier cet idéal qu’il propose à l’admiration du monde. Il y a chez lui un grand publiciste en même temps qu’un grand romancier. La prédication qui résulte de ses livres ne gêne jamais sa fantaisie inspirée : l’auteur de Nathan est avant tout un artiste ; mais, comme c’est un artiste dévoué à la démocratie, il semble qu’on ne