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cavaliers acadiens qui ont reçu l’ordre de disperser la petite colonie. Le combat s’engage, terrible combat ! un contre vingt. Enfermés dans le blockhaus, les six Américains font un affreux ravage dans les rangs des mousquetaires. Asa indique à chacun de ses hommes l’ennemi qu’il faut frapper, et, tandis que les enfans et les femmes chargent les fusils de rechange, chaque pionnier, à l’abri sous le rempart, ne brûle son amorce qu’à coup sûr. Nos gens ont l’œil exercé-à la précision des coups, on reconnaît les chasseurs d’ours et de bisons. A la fin, cependant, décimés par cette fusillade meurtrière et furieux de ne pas voir l’ennemi, les mousquetaires essaient de mettre le feu au blockhaus. Des étoupes incendiaires sont jetées aux quatre coins, et déjà le toit est en flammes. Asa s’élance par la cheminée ; au moment où il verse de l’eau pour arrêter le feu, une balle l’atteint et le rejette mourant dans l’enceinte où combattent ses frères. Alors la lutte est plus furieuse en- core ; le blockhaus est envahi ; on se bat à coups de couteau, et, après un dernier effort, dont les Acadiens sont victimes, le peu d’Espagnols qui restait s’enfuit avec d’affreux hurlemens. C’est ainsi que périt Asa Nollins, et que son beau-frère Nathan Strong devint le chef de l’expédition.

Le livre de M. Sealsfield s’ouvre par ces épisodes pleins de grandeur, et c’est Nathan lui-même qui les raconte. En face de ce blockhaus, sur cette terre arrosée du sang et des sueurs de ses frères, Nathan raconte à deux gentilshommes français les héroïques origines de la colonie. Maîtres du sol, Nathan et ses quatre compagnons firent les funérailles d’Asa Nollins ; puis ils appelèrent à eux plusieurs familles de leur pays. C’était une bande d’aventuriers qui s’était jetée dans les déserts ; ce fut bientôt une colonie véritable, une belle et florissante colonie américaine qui prenait pied dans la Louisiane.

Cette expédition d’Asa et de Nathan, qui s’est reproduite si souvent et sur tant de frontières différentes, au sud et à l’ouest des États-Unis, n’est pas une invention du romancier ; c’est un fait réel attesté par les journaux du temps. Ce qui est bien à M. Sealsfield, c’est le souffle épique dont il anime son récit ; ce qui lui appartient surtout, ce sont les beautés sublimes qu’il en saura tirer. A qui Nathan raconte-t-il ces grandes choses ? A deux jeunes gentilshommes, M. le comte de Vignerolles et M. de La Calle, que 92 vient de chasser de France, et qui ont cherché un refuge en Amérique. M. de Vignerolles voulait se faire planteur ; le récit de Nathan, le spectacle des travaux de la colonie éveille en lui le désir de s’établir aux mêmes lieux. Nathan est d’abord un peu brusque et bourru, l’austère Américain se défie de la légèreté française ; mais comme cette rudesse s’adoucit peu à peu ! comme le patriotisme vient tempérer la brusquerie puritaine, et que le démocrate est fier de montrer à un gentilhomme de Versailles la supériorité de son pays ! Cette