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doute, dans la sécurité renaissante, et, nous avons quelque embarras à l’avouer, on s’en accommode avec une abnégation et une docilité qui prouvent combien on a conscience du péril auquel l’abus des libertés sans frein nous avait précipités.

Nous désirons du moins qu’il n’y ait rien de plus permanent dans cette disposition d’esprit qui fait du pouvoir absolu un joug peut-être trop agréable à nombre de nos concitoyens. Nous ne voulons pas voir un trait de caractère dans cette résignation si facile qui succède à tant d’emportemens. Nous désirons surtout que le temps approche où des moyens moins violens suffiront à préserver l’ordre et la confiance. Rétablir le travail en multipliant la circulation des capitaux, rétablir le sens public en combattant la circulation des idées fausses, ce sont là les grandes entreprises dans lesquelles la patrie doit mettre tout l’espoir qui lui reste. De ce point de vue, la loyauté généreuse avec laquelle l’emprunt s’est traité est un bon commencement. M. Goudchaux, mieux inspiré que dans la liquidation des caisses d’épargne et des bons du trésor, recueille déjà les fruits de son habileté. L’emprunt coûte cher, mais il se place. De ce même point de vue, l’on ne saurait trop louer la décision avec laquelle M. Thiers a voulu combattre de front les paradoxes malfaisans de l’adversaire qu’il a si bien saisi en flagrant délit de subtilité vaine ou perfide. La réfutation sera certainement aussi populaire qu’elle a été solennelle. M. Proudhon s’est défendu aujourd’hui contre la sentence lancée par l’assemblée. La sombre et sauvage énergie de ce plaidoyer, lu d’une voix sourde au milieu des murmures et des rires, ce mélange audacieux d’injures amères et de calculs insensés, tout ce fatras d’un talent vigoureux dévoré par la passion du moi, tout ce bizarre cynisme n’aura guère servi la cause perdue dont M. Proudhon s’est porté le soldat. Nous aussi nous aimons le bien du peuple et nous avons à cœur d’aider aux faibles et aux misérables qui seront toujours en ce monde. C’est pour cela que nous remercions si sincèrement les esprits éminens, les bons citoyens, qui se dévouent afin d’arracher les âmes à la contagion de ces tristes doctrines.

— On sait avec quelle fermeté courageuse M. Michel Chevalier a défendu, depuis février, les vrais principes de la science économique, si étrangement méconnus par quelques utopistes. On se souvient des pages, à la fois si substantielles et si brillantes, qu’il consacrait ici même à la question des travailleurs. Aujourd’hui, M. Michel Chevalier donne la forme du livre à ses études récentes sur les théories aventureuses qui ont si cruellement agité la France. Sous ce titre de : Lettres sur l’organisation du travail, il aborde la plupart des questions soulevées par les divers adeptes de l’école socialiste ; il oppose des faits à leurs rêveries, des argumens sérieux à leurs déclamations. Nous regrettons de ne pouvoir citer la remarquable conclusion où M. Michel Chevalier défend la cause du travail libre avec une si haute raison et une si ferme éloquence. Nous ne pouvons que renvoyer à son livre[1].



V. de Mars.
  1. Un volume in-18, chez Capelle, rue des Grés.