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Cette suprématie incontestée de Lacédémone, quelle qu’en fût la cause, suffit à prouver l’existence très ancienne d’une unité grecque, phénomène singulier, si l’on se rappelle la division extraordinaire des tribus helléniques, leurs intérêts si différens, toutes les causes d’isolement qui semblaient s’opposer à ce qu’elles formassent jamais un corps homogène. La Grèce, en effet, présente le spectacle, très étrange pour les modernes, d’une unité nationale complètement distincte de l’unité politique. L’hellénisme, si je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire l’unité nationale, exista toujours, et l’on ne vit qu’une fois, à la veille d’une formidable invasion, les républiques grecques se confédérer contre l’ennemi commun. Le lien assez puissant pour maintenir cette unité nationale existait moins dans une langue commune, intelligible pour tous les Grecs, malgré la différence des dialectes, que dans une conformité remarquable de l’esprit et du caractère. Sans doute, on peut opposer la subtilité de l’Athénien à la lourdeur du Béotien, l’austérité du Spartiate à la mollesse de l’Ionien ; cependant, partout où se parle la langue grecque, on trouve le même amour du beau et du grand, la même aptitude pour le progrès, la même conscience d’une espèce de mission civilisatrice. La religion, bien que ses formes fussent si variées, que presque chaque famille avait son culte particulier et domestique, la religion, en conviant toutes les tribus grecques à des cérémonies et des jeux solennels où l’étranger ne pouvait prendre part, contribuait encore à les rapprocher, à établir entre elles des relations d’intérêts communs, de jouissances et de passions communes. Ces couronnes, distribuées à Olympie, et que venaient disputer les habitans de Crotone et de Cyrène, ramenaient incessamment les Grecs les plus éloignés au berceau de leur race, et les accoutumaient à voir dans la Grèce continentale le centre de la civilisation. Enfin, la poésie et les arts, si profondément populaires dans le monde hellénique, créés par lui et pour lui, associaient cette race d’élite aux mêmes émotions et lui redisaient continuellement sa supériorité sur le reste des hommes. Cet orgueil si bien fondé fit une nation de toutes les cités helléniques et leur donna la force nécessaire pour sauver le monde de la barbarie.

Le dernier volume de M. Grote nous fait assister au commencement de cette lutte immortelle. Après avoir exposé les accroissemens rapides de la puissance des Perses, leurs conquêtes en Asie, l’asservissement des villes ioniennes, il raconte, d’après Hérodote, les causes qui précipitèrent Darius et ses successeurs contre la Grèce continentale. Suivant M. Grote, si Darius l’eût attaquée d’abord, au lieu de tourner ses armes contre les Scythes, c’en était fait dAthènes, et peut-être avec elle de la civilisation ; mais la folle expédition des Perses au-delà du Danube, et la révolte de l’Ionie, qui en fut la suite, donnèrent aux Grecs le temps de se préparer et de s’aguerrir. Athènes, esclave sous les Pisistratides,