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que chacune des tribus élût tous les ans un général ou stratège. Ces nouveaux fonctionnaires ne tardèrent pas à usurper une partie de l’autorité des archontes, qui perdirent la plupart de leurs attributions politiques. Enfin l’aréopage, suspect au peuple comme composé en majorité des archontes nommés sous Pisistrate, fut dépouillé de presque toute son autorité judiciaire, remise aux mains de grands jurys élus par le peuple. Quant au sénat, augmenté de cent membres, il vit également son autorité s’affaiblir en même temps que croissait celle des stratèges, intéressés à n’avoir point d’intermédiaires entre eux et le peuple. Bientôt, en effet, il n’y eut plus à Athènes que deux pouvoirs, celui de l’assemblée et celui des stratèges, ses élus. Dans la suite, les progrès de la démocratie amenèrent pour dernier résultat le tirage au sort des charges publiques entre tous les citoyens ; mais les fonctions de stratèges demeurèrent toujours électives. Il est vrai qu’alors c’était les seules pour lesquelles le mérite fût nécessaire.

Une des institutions les plus remarquables qui signala la réforme de Clisthènes fut l’invention de l’ostracisme. M. Grote défend assez bien ce moyen de gouvernement, et prouve qu’il rendit de grands services à la démocratie naissante. Clisthènes, par ses réformes, dit M. Grote, s’était assuré l’assentiment de la masse des citoyens ; mais, après les exemples donnés par Pisistrate et ses successeurs, comment espérer que toutes les ambitions s’arrêteraient devant une institution nouvelle que l’on n’avait pas encore appris à respecter ? Le problème à résoudre était d’écarter ces ambitions avant qu’elles tentassent d’enfreindre les lois, de prévenir les attentats au lieu de les réprimer par la force et en versant un sang précieux. Pour acquérir une influence dangereuse dans un état démocratique, un homme est obligé de se mettre quelque temps en évidence devant le public, de manière à laisser juger son caractère et ses projets. Or, partant de ce principe posé par Solon, que dans les séditions aucun citoyen ne devait demeurer neutre, Clisthènes en appelait par avance au jugement populaire et le sommait de se prononcer sur l’homme à qui l’on attribuait des projets alarmans pour la tranquillité publique. Le sénat en délibérait et convoquait l’assemblée. Si six mille citoyens, c’est-à-dire le quart de la population libre d’Athènes, trouvaient la république menacée par un personnage quelconque, ce personnage était banni pour dix ans. Cet exil, d’ailleurs, n’entraînait ni déshonneur ni confiscation de biens ; c’était un sacrifice demandé par la patrie, une marque de respect donnée à la susceptibilité démocratique. Il faut observer en outre que l’ostracisme n’était jamais proposé contre un seul citoyen particulièrement désigné. Le peuple était invité à bannir l’homme qui lui semblait dangereux ou suspect Chaque Athénien avait à examiner dans sa conscience quel était cet homme, en sorte qu’une faction ne pouvait réclamer l’ostracisme