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de se débarrasser d’une population qui croissait d’une manière alarmante. Nulle entrave n’était imposée aux émigrans. En quittant leur patrie, ils en acquéraient une autre ; ils devenaient indépendans, et pouvaient se donner telles lois que bon leur semblait. Seulement ils devaient absolument renoncer à toute idée de retour, même après une tentative malheureuse pour s’établir. Lorsque les Théréens partirent pour fonder Cyrène, effrayés d’un voyage beaucoup plus dangereux alors que ne serait aujourd’hui un voyage autour du monde, ils revinrent dans leur île natale. On les contraignit aussitôt de se rembarquer. Entre les colonies et la métropole, il n’y avait que des liens moraux. Dans les fêtes publiques, on réservait une place honorable aux citoyens de la mère-patrie. On lui demandait parfois des arbitres pour résoudre des procès ou des débats politiques, et d’ordinaire, lorsque la colonie voulait en fonder une à son tour, elle cherchait dans sa métropole un chef pour l’émigration, ou un Œkiste, puisqu’il faut se servir de ce terme grec qui manque à notre langue. Dans la suite, la colonisation prit un autre caractère. Ce fut l’ambition des métropoles qui la dirigea. Dès-lors les émigrans ne s’éloignèrent plus qu’avec là permission des magistrats, et, en s’établissant dans une terre nouvelle, ils demeurèrent soumis aux lois et au protectorat, souvent assez lourd, de leur première patrie. Les colonies furent réduites à une espèce de vasselage, exploitées plutôt que gouvernées par les métropoles. Il est assez curieux de remarquer que ces prétentions de suzeraineté correspondent avec l’influence croissante des institutions démocratiques dans les villes de la Grèce continentale. Là, à mesure que la condition de citoyen devenait plus élevée, on s’en montrait plus jaloux, et, comme pour rehausser le prix de la liberté, on aimait à s’entourer d’esclaves.

M. Grote, malgré l’obscurité ou la pénurie des renseignemens historiques, est parvenu à nous donner une idée des changemens remarquables qui s’opérèrent dans les gouvernemens helléniques peu après la révolution qui avait abattu les vieilles monarchies patriarcales dont Homère nous a laissé une si vive peinture. Au régime oligarchique, établi partout par les conquérans doriens et ioniens, succède une période de despotisme. Tantôt un chef entreprenant confisque à son profit le pouvoir divisé entre quelques familles, tantôt c’est une réaction du peuple vaincu contre les conquérans. C’est ainsi qu’à Sicyone on voit un chef achéen, Clisthènes, renverser l’oligarchie dorienne et l’asservir à son tour. Qu’on se représente, si l’on peut, la situation des deux ou trois cents familles composant la population d’une ville, en contact journalier avec son petit tyran, soupçonneux, cupide, exposé à chaque instant à un assassinat. En fait d’exactions, de cruautés, d’avanies de toute espèce, quelques-uns de ces despotes réalisaient tout ce qui est possible. Ce Clisthènes, que je viens de nommer, ne se