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dit-on, la boussole. Un vaisseau romain s’avisa de naviguer à la suite d’un bâtiment carthaginois partant pour les îles Cassitérides. Après de vains efforts pour le gagner de vitesse, le Carthaginois alla bravement donner de propos délibéré contre un écueil, se perdant pour perdre un rival. Si les Grecs eussent connu la boussole, comme quelques savans prétendent que les Phéniciens la connaissaient, ils l’auraient aussitôt portée dans le monde entier.

Pendant cette première période de l’histoire de la Grèce, il semble que la colonisation fût l’idée dominante et la préoccupation de tous les esprits. Un Argien rêve qu’Hercule lui commande de bâtir une ville en Italie, et il va fonder Crotone. Un Corinthien encourt la malédiction d’un mourant, espèce d’excommunication fort redoutée autrefois ; il s’enfuit en Sicile et fonde Syracuse. Des esclaves locriens se sauvent de chez leurs maîtres, emmenant quelques femmes de bonne maison ; ils abordent en Italie et bâtissent une nouvelle Locres, Quelquefois deux frères, héritiers d’un petit despote, trouvent leur patrimoine trop chétif pour être partagé, ils le tirent au sort, et le perdant monte sur un vaisseau et va fonder au loin une petite tyrannie. Le cas le plus ordinaire, c’est une sédition qui trouble la tranquillité dans une ville hellénique. Aussitôt on décide que la minorité émigrera. Elle part sans se faire prier, sans s’être battue pendant quatre jours, sans être accompagnée de gendarmes, Il faut remarquer à l’honneur des Grecs que leurs dissensions civiles sont rarement sanglantes, et M. Grote a observé avec beaucoup de justesse que la plupart de leurs institutions avaient pour but de résoudre par la discussion les questions politiques, qui, ailleurs, se décidaient par la violence. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce sujet, mais ne quittons pas celui de la colonisation sans remarquer combien, chez les anciens, et particulièrement chez les Grecs, on s’est préoccupé de chercher un remède à l’accroissement excessif de la population. De bonne heure la religion, les lois, les mœurs facilitèrent l’émigration ; souvent elles la prescrivirent impérieusement. Cette prévoyance, dont nos sociétés modernes sont malheureusement assez dépourvues, était peut-être commandée aux Grecs par un danger beaucoup plus évident pour eux que pour d’autres peuples. Habitans d’une terre aride, divisés en une foule de petites républiques rivales, ils avaient sans cesse à craindre que la terre ne pût nourrir le laboureur, ou qu’en se livrant d’une manière désordonnée à l’industrie, leurs citoyens ne perdissent rapidement leur énergie et leur vertu guerrière ; garanties capitales de leur indépendance. En un mot, assurer à une population médiocre toutes les conditions de bien-être paraît avoir été le but de tous les législateurs grecs. Avaient-ils tort ?

Le premier motif de ce grand mouvement de colonisation que M. Gcote suit dans tous ses détails fut donc, suivant toute apparence, le besoin