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pour juger les causes criminelles et civiles ; leurs décisions étaient soumises à cinq cours d’appel, au-dessus desquelles fut placée la table septemvirale.

Quant à la souveraineté même du pays et de la diète, Joseph II se montra résolu à n’en tenir aucun compte ; il ne voulait pas, disait-il, qu’on attaquât ses réformes, tant qu’on ne les aurait point appliquées ; il était sûr que l’avenir lui donnerait raison, pourvu qu’on ne disputât pas avec lui. Les dix années de son règne s’écoulèrent sans qu’aucune diète fût convoquée. La religion ne fut pas mieux traitée que la souveraineté nationale. On sait avec quel acharnement Joseph, dès les premiers jours de son règne, s’était attaqué à l’église et au clergé ; les représentations de Pie VI, le voyage de ce pontife à Vienne (1792), ne changèrent point ses dispositions. Il supprima, selon son bon plaisir, certains ordres religieux, en conserva certains autres, prit les biens de ceux-ci, les laissa à ceux-là, changea la circonscription des évêchés, défendit tout appel à Rome, même pour les causes purement spirituelles, et établit de son autorité privée le divorce. Ces réformes profitaient du moins aux intérêts de la puissance civile ; mais tout à coup il se mit à régler aussi les cérémonies, l’ordre des processions, le mode des enterrement, toutes choses enfin, et cela sans droit, sans prétexte ; sans grandeur, uniquement par cette fureur de réglementer que Frédéric II caractérisait plaisamment quand il disait de lui : « Mon frère le sacristain. » Joseph II aimait l’uniformité jusqu’à la passion. La régularité administrative est la manie de tous ceux qui étudient sur le papier, et veulent avoir un gouvernement bien aligné en tableaux. Il y a de certaines idées d’uniformité, dit Montesquieu, qui saisissent quelquefois les grands esprits, mais qui frappent infailliblement les petits. Les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l’état, la même religion dans toutes ses parties ; mais le mal de changer est-il toujours moins grand que celui de souffrir ? Lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils suivent la même ? »

Veut-on savoir jusqu’où Joseph II poussa son extravagante manie ? Un seul exemple suffira. Un décret de ce prince ordonnait que, pour ménager le bois et les ressources des forêts, on n’enterrerait plus dorénavant les morts dans un cercueil, mais dans un sac de toile. Ne croirait-on pas lire l’histoire de quelque ancien tyran de l’Égypte prescrivant quelles herbes seront employées dans les embaumement, ou un décret d’hier sur la coupe des gilets et la forme des chapeaux ? Les populations se soulevèrent contre cette ordonnance.

Parmi tant de mesures étranges, parmi tant de violations de la loi politique, il en est deux pourtant qui révoltèrent plus particulièrement le patriotisme hongrois. Ce n’est pas seulement en raison du bien ou