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scories pour reconquérir peu à peu notre primitive et sainte pureté, notre nature même ; l’homme, essentiellement bon, égal à l’homme, égal à la nature, égal à Dieu, faisant partie de la substance unique et universelle qui est divine, ne peut manquer de travailler sur lui-même comme un dieu sur un dieu. Le retour à la perfection absolue, centre et berceau de l’humanité, est inévitable ; et dans cette hypothèse, qui pour moi est une conviction et une foi, tous vos remèdes et vos palliatifs sont inutiles. L’humanité marchera seule.

— Religionnaires de l’humanité divinisée, vous êtes dieux, parfaits, complets, fractions intégrantes de l’absolu, dont la nature divine se perfectionne éternellement dans ses métamorphoses, je le sais. J’aime à vous voir vous rendre justice et surtout aller résolument au fond de votre doctrine. Hélas ! mon ami, par elle s’expliquent toutes les folies et toutes les fureurs du temps présent. Il y a bien moins de mal dans les faits et bien plus dans les idées qu’on ne l’imagine. Les faits se guériraient tout seuls, si l’on guérissait les esprits. Tout à l’heure, cher philosophe, vous étiez en plein fanatisme ; on faisait, il y a deux cents ans, brûler les hommes avec un mot : sorcier ; et vous qui êtes le plus doux des mortels, vous voyez d’un œil sec les sociétés qui se dissolvent, la fortune publique qui s’anéantit, et les cadavres des citoyens qui s’entr’égorgeât, parce que, dites-vous, la chose est nécessaire. Il faut que le dieu-homme-nature retrouve sa totalité à travers les épreuves ! Mais si par hasard cela n’était pas nécessaire, si cela était inutile ; si l’homme n’était pas dieu, s’il n’était pas essentiellement angélique, parfait et absolu ; si j’avais raison, si vous aviez tort ; s’il était condamné à la lutte, à la douleur, à la résignation ; si c’était la vraie, l’unique condition humaine ; s’il ne pouvait triompher de la terre qu’en l’arrosant de sa sueur, et du mal qu’en l’arrosant de ses larmes, combien vous seriez criminel à votre insu ! Non, je ne puis adopter votre hypothèse, qui ne s’annonce que par des promesses et ne s’appuie que sur des illusions. Je ne vois pas votre transsubstantiation s’opérer ; l’apothéose de l’humanité n’est pas même commencée ; l’homme est toujours l’homme, et le démon n’a pas quitté l’auge, comme le prouve trop cette malheureuse ville que nous traversons, cette ville du plaisir et de la lumière, sillonnée hier par les boulets et les balles des citoyens ennemis. Je suis donc forcé de m’en tenir à la simple réalité, aux faits tels qu’ils se montrent. Je vous ai indiqué en passant quelques-uns des procédés matériels au moyen desquels le sort des hommes de labeur peut s’améliorer en France, et je continue dans la même voie. Continuez, vous, à croire à la glorification de l’espèce humaine ; nous autres, les pessimistes, servons modestement l’humanité en étudiant ses besoins. Pendant que vous êtes occupés au grand œuvre et que vous cherchez la quintessence de Saturne, nous faisons des bouillons pour