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accumulée, apparaîtrait à temps sur la face agitée de l’Europe pour y recueillir le fruit d’une longue patience, et prendre peut-être quelque revanche de nos revers. Hélas ! ce jour-là a lui pour tout le monde, excepté pour nous, qu’il trouve plongés dans une ombre épaisse. Les iniquités du congrès de Vienne se réparent, tous ses signataires sont en fuite ou dans le tombeau ; mais dans ce renouvellement général sent-on quelque part la main de la France, entend-on quelque part sa voix ? Non, cette main puissante est embarrassée, cette voix sonore est couverte par les clameurs des factions. Est-ce sérieusement qu’on nous flatte quelquefois que nous sommes à la tête du mouvement de l’Europe ? Autant vaudrait dire que le rocher détaché de sa base est à la tête de l’avalanche qu’il entraîne dans sa chute. Chose singulière, l’œuvre de 1815 se défait à peu près comme elle s’est faite : sans nous et contre nous !

Que si l’on avait, pour user des moyens de diplomatie, ou une répugnance invincible, ou, ce qui revient au même, une impuissance absolue, était-ce une raison, cependant, pour se croiser les bras et jeter les rênes du char sur le cou des chevaux emportés ? Il semble qu’il restait une ligne de conduite à tenir, plus aventureuse sans doute, moins régulière, qu’il me répugne infiniment d’indiquer, mais qui ne devait pas inspirer (du moins je l’aurais pensé) les mêmes sentimens au gouvernement révolutionnaire de février. Les membres de ce gouvernement nous avaient entretenus si souvent, pendant leur opposition, de l’attrait qu’inspirait la nationalité française aux pays de même langue et de même race que la fortune de Waterloo avait séparés de nous : on aurait dit, et nous pensions souvent qu’il suffirait du moindre appel fait par la France, ou seulement d’une volonté moins énergique de sa part de se refuser à tout agrandissement, pour que de Belgique, de certains cantons suisses, des montagnes de Savoie, se levassent des populations empressées à confondre de nouveau leurs destinées avec les nôtres. L’état de désordre général où est tombée l’Europe après la révolution de février aurait pu sembler favorable à la réalisation de telles espérances. La nationalité française pouvait bien passer pour avoir autant de droits que les nationalités allemandes ou italiennes, et, quand deux grands pays se soulevaient pour les exploits reculés de Legnano ou pour les souvenirs d’Arminius, on aurait difficilement pu reprocher à la France de murmurer à demi-voix, à ses anciens compagnons d’armes, les noms plus brillans de Fleurus, de Zurich et d’Arcole. La Savoie surtout, qui perd plus qu’elle ne gagne aux conquêtes de son souverain, et dont les députés vont se trouver perdus dans un parlement italien dont ils n’entendent pas la langue, aurait dû naturellement retrouver pour nous ses anciennes sympathies, et bien des gens avaient pensé que c’était là pour la France la compensation toute