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encore ; il est loin d’être parfait, et quant à nous, France, en particulier, il ne nous a pas si bien traités, que nous en soyons les champions à tout venant.

Mais enfin ce droit public, il existe ; il existe en vertu d’un commun accord, il existe par un échange réciproque d’avantages entre toutes les nations qui composent la grande famille européenne, et, si je ne me trompe, dans cet échange, ce n’est ni vous, Suisse, ni vous, Allemagne, qui avez été les plus maltraitées. Que si l’Italie en a cruellement souffert, ce n’est pas le Piémont, cependant, qui a porté la plus rude part des sacrifices. Il nous semble, au contraire, qu’il avait trouvé dans un vaste accroissement de territoire de quoi se consoler des malheurs de la patrie commune. Tous, laissez-nous le dire sans amertume, vous vous êtes étendus à nos dépens, vous avez recueilli quelques lambeaux de nos dépouilles. Est-ce que vous auriez, par hasard, l’étrange prétention de sortir de l’accord établi entre les puissances européennes, en gardant pour vous tous les avantages et en nous laissant toutes les charges des traités ? En vérité, ce serait trop prétendre. Ce qui a été fait par un concert ne peut se rompre que par un concert nouveau ; ce qui a été établi pour concilier des intérêts opposés ne peut faire place, en bonne justice, qu’à une combinaison nouvelle qui établisse le même équilibre. Peuples ou rois, vous êtes tenus, sur ce point, des mêmes obligations, car vous avez joui des mêmes bénéfices. Vous ne pouvez pas, par une simple évolution intérieure, altérer tous les mouvemens de la balance européenne. Venez donc ; discutons ensemble et vos prétentions et nos droits, et vos vœux et nos craintes. Rien de tout cela n’est inconciliable, j’en suis convaincu ; raison de plus pour nous entendre et pour défendre ensuite en commun les conditions de notre accord.

J’ignore, on le pense bien, sous quelle forme un pareil langage aurait pu être tenu : si c’eût été par une négociation amicalement ouverte, ou par une médiation imposée, sur le terrain, à des parties contondantes, sorte d’intervention que tout le monde s’attendait à voir exercer à la France en Italie. J’insiste seulement sur ce point, c’est que je ne crois pas que depuis qu’il y a une France au monde, quel que fût son gouvernement, qu’il s’appelât Louis XV ou directoire, quels que fussent ses ministres, qu’ils tinssent conseil dans l’oratoire de Mme de Maintenon, dans le boudoir de Mme de Pompadour ou au Luxembourg avec Barras, elle eût laissé les bases de l’empire germanique s’altérer et un royaume se fonder, l’épée à la main, au-delà des Alpes, sans se croire tenue d’apparaître, par ses ambassadeurs ou par ses armes, sur le théâtre de si importantes nouveautés. Il était réservé au nouveau gouvernement de la France d’inventer pour elle ou d’être réduit à lui faire tenir ce rôle d’abnégation dont, il n’y a pas six mois, personne, en Europe,