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des journaux suisses et américains, dont le président du vorort et le ministre des États-Unis se sont faits les interprètes, témoignent que ce sentiment de répulsion n’est point étranger même à ces sentinelles avancées de la démocratie. Enfin, je lis dans nos journaux qu’un vif mouvement de réaction monarchique se manifeste en Allemagne jusque dans les assemblées nationales issues du suffrage universel. J’ignore ce que cette réaction pourra produire dans un pays si peu expérimenté en fait de révolutions ; mais, si elle existe, je n’ai pas besoin de demander où les souverains auront pris leurs argumens pour ramener leurs sujets à l’amour des institutions monarchiques. On peut parier, sans le savoir, que les récits de la surprise du 15 mai et des scènes sanglantes du mois de juin auront fait pour plus de moitié les frais de cette conversion.

Que si, par hasard, cet argument, confirmé chaque jour par nos malheurs, venait à avoir un trop grand succès ; si, tandis que nous laisserions corrompre chez nous et périr l’une après l’autre toutes les plus belles conquêtes de notre première révolution, la monarchie, qui n’a encore péri nulle part, avait l’art de s’en porter héritière ; si, par conséquent, la monarchie, une monarchie libérale, largement démocratique et renouvelée partout par le vœu populaire, devenait, pour un temps plus ou moins long, la forme politique de tous les états européens, on songe avec effroi à l’état d’isolement et de discrédit où nous resterions en Europe. Entourée de souverains aussi peu amis qu’en 1792, la France n’aurait plus la ressource d’en appeler contre leur mauvais vouloir à la vertu contagieuse de ses principes. Ses principes seraient partout, excepté chez elle. Nous répandrions le même effroi que la convention sans réveiller les mêmes échos. Ce n’est là, Dieu merci, qu’une hypothèse, et nous avons entre les mains, en exerçant dès à présent sur nous-mêmes une salutaire discipline, tous les moyens d’empêcher qu’elle se réalise ; mais précisément, pour la prévenir, il est utile de la prévoir et de ne pas se laisser bercer doucement, comme nos politiques paraissent le faire, au bruit des soulèvemens populaires qui grondent partout en Europe. Il est beau assurément de fournir à toutes les capitales d’Europe des modèles d’insurrection et d’être réputés passés maîtres dans l’art de faire des barricades, bien que ce soit là une réputation qui commence à fatiguer déjà ceux même qui, il y a quelques mois, s’en montraient le plus flattés ; mais il ne serait pas mal non plus, si nous voulons faire une propagande durable et qui nous profite, qu’on pût venir quelque jour étudier chez nous comment les institutions républicaines se concilient avec le respect de la loi, et l’égalité absolue avec le respect de la propriété. Des articles de journaux sont, sans doute, d’excellens moyens pour convertir les peuples à nos usages ; mais il en est d’autres qui ne sont pas non plus à