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Vienne a été subitement renversé. Pour peu que ce mouvement vienne à terme, nous allons avoir une nouvelle Europe à la place de l’ancienne. Qu’a fait, qu’a pensé, qu’a dit, au milieu de tout cela, le gouvernement de la France ? Quelle mesure a-t-il prise pour retrouver dans la balance nouvelle le même poids qu’il faisait sentir dans l’ancienne ? Fidèles, pour notre part, aux obligations que les conventions nous imposaient, dans quels termes sommes-nous avec tant d’autres puissances, qui se sont crues en droit de s’affranchir des leurs ? En un mot, quel poste tenons-nous dans le branle-bas général ?

En l’absence de toutes communications particulières, voici, si j’ai bien compris les documens officiels, quelle a été, dans le grand mouvement qui s’opère en Europe, l’altitude prise par le gouvernement français. Partout où a éclaté une insurrection populaire, que ce fût, comme en Italie, une insurrection nationale contre le joug de l’étranger, ou, comme sur divers points de l’Allemagne, une insurrection démocratique et libérale contre le pouvoir absolu, partout, en un mot, où la volonté des peuples, exprimée par la majorité véritable ou supposée par une minorité violente, s’est fait entendre, non-seulement il l’a trouvé bon, mais il y a applaudi, mais il a même, au besoin, proposé son assistance. Il regarde tous ces événemens, quels qu’ils soient et sans distinction, non-seulement comme honorables et légitimes, mais comme avantageux pour la France. Il ne dispute point avec eux pour de simples questions de territoire : il ne leur marchande point son assentiment. Bien plus, il s’en réjouit en quelque sorte, comme d’un succès personnel ; il y voit le contre-coup de la révolution de février ; il y voit le prélude d’un état nouveau de l’Europe, où la similitude des mœurs produira l’accord parfait des intérêts, et la France n’aura plus de rivaux à craindre, mais seulement des frères à embrasser. La politique se trouve ainsi étrangement simplifiée pour le gouvernement français. Toute sa tâche se réduit à proclamer bien haut les principes démocratiques, qui, faisant ensuite le tour du monde, remportent pour lui des victoires sans coup férir.

Faut-il le dire ? on éprouve une méfiance instinctive contre un programme si simple couronné de si brillantes espérances, qui impose si peu de devoirs à l’activité d’un gouvernement et ouvre une telle carrière à son imagination. Et cependant comment faire pour ramener à une appréciation pratique ces illusions généreuses ? Où trouver un parachute pour descendre de ces nuages ? Essayons cependant d’être raisonnable, au risque de paraître mesquin et égoïste ; tâchons de concilier, s’il est possible, un calcul sensé de nos intérêts avec le juste enthousiasme que doit inspirer à tout Français le progrès de la noble cause de la liberté européenne.

En premier lieu, et précisément parce qu’on doit mettre au succès