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droit public de l’Europe, sans être en mesure de lui en substituer un nouveau. Elle réduit, par conséquent, tout l’état des relations diplomatiques à un simple fait, sans aucun droit précis pour l’appuyer, et vous expose à être pris au dépourvu par le premier incident qui viendra les troubler, et à n’avoir que la force à lui opposer. Vous faites comme un gouvernement qui dirait aux particuliers : En fait, je vous laisse vos propriétés, mais je supprime les lois civiles qui vous les garantissent, et qui livrerait toute la société à la violence des intérêts privés et au hasard de la défense individuelle. Malgré l’importance de ces raisons, qui sautaient aux yeux de l’observateur le moins attentif, le public en général, délivré du fantôme de la guerre universelle et du cortège de terreur révolutionnaire dont elle eût été accompagnée, s’est montré coulant sur les moyens mis en œuvre pour lui épargner cette extrémité, et, somme toute, nous pensons qu’il a bien fait. Il a compris qu’il est parfois nécessaire, quand on a affaire à des passions qu’on a soulevées soi-même, de dire le contraire de ce qu’on fait pour le faire plus à son aise. Que si, pour empêcher une imprudente violation des traités de 1815, il a fallu proclamer qu’ils n’existaient plus, s’il a fallu s’y prendre, par conséquent, avec les préjugés populaires comme avec des enfans, et enlever de leurs yeux l’objet qu’ils voulaient briser, soit, à la bonne heure ; l’essentiel est que le fond de notre politique raisonnable ait été conservé intact dans la tempête. Il faut prendre en bonne part, tout en déplorant leurs conséquences, les artifices qui ont concouru à un résultat si désirable.

Ainsi voilà qui a été bien entendu dès le premier jour. Point de provocation de notre part, point de dénonciation des traités. Le gouvernement républicain acceptait, sur ce point, l’héritage de la monarchie ; mais, cela dit, tout était-il fini ? Non, tout était à peine commencé. Nous évitions les périls de la guerre. Notre gouvernement prenait sur lui les devoirs laborieux de la paix, car, en aucun temps, ce n’est une œuvre médiocre que de maintenir, sans secousse comme sans faiblesse, au rang qui lui appartient, un grand état tel que la France, au milieu des hasards qui le menacent et des jalousies qui l’environnent ; mais le lendemain de l’avènement du nouveau pouvoir, cette tâche est devenue bien plus difficile encore.

À peine, en effet, venait-il de mettre au jour sa déclaration équivoque, bien qu’au fond rassurante sur les traités, que ces mêmes traités étaient bouleversés, presque sur tous les points de l’Europe, par les mouvemens irrésistibles et inopinés des populations soulevées. En Allemagne, en Suisse, en Italie, les distributions territoriales ont été brusquement remaniées : de nouveaux états indépendans se sont formés, d’anciennes divisions se sont effacées et fondues l’une dans l’autre. Tout le savant équilibre de forces établi à si grands frais par le congrès de