Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà, nous en convenons, des procédés bien mesquins, une conduite bien bourgeoise. La montagne nous eût reconstruit une société si magnifique, pour peu que nous eussions eu la patience d’attendre qu’elle eût tout-à-fait culbuté la vieille ! Bourgeois ou non, nous sommes de ceux qui s’en tiennent à celle-là, trop heureux qu’on entreprenne enfin de la raccommoder.

Le pouvoir exécutif et l’assemblée se livrent de concert à cette grande œuvre de réparation. On a déjà fait plus de bonne besogne en quinze jours par des chemins modestes, qu’on n’en avait bâclé pendant quatre mois, en se promettant tous les matins d’escalader l’Olympe des antiques préjugés sociaux. Il en est de la charité publique comme de la charité privée, elle ne perd jamais à ne pas trop se vanter. Les ouvriers licenciés reçoivent donc maintenant à domicile les secours qu’ils allaient mendier sur les chantiers de terrassement. Ce secours ainsi distribué les retient en dehors de ces mauvaises suggestions qui leur arrivaient de toutes parts dans le pêle-mêle d’une foule oisive, à l’ardeur du soleil de juin. Il est vrai qu’ils ne peuvent plus de la sorte servir d’armée à personne ; mais il n’y a que les minorités révolutionnaires qui veuillent jamais lever d’armées de ce genre-là. Les montagnards de l’assemblée nationale en savent bien quelque chose. Répartir sagement l’assistance de l’état tant qu’elle est nécessaire, c’est déjà bien ; c’est mieux encore, c’est le but unique à poursuivre, de remplacer cette assistance douloureuse par le libre jeu des industries privées. Le problème est de remettre le travailleur en position de- se tirer lui-même d’affaire par le louage justement rétribué de sa journée de travail, par le développement de son activité individuelle. On s’applique avec une louable émulation à cette tâche de salut ; on s’y applique surtout avec intelligence. Ainsi le décret du 5 juillet a ouvert au ministère du commerce un crédit de 3 millions destinés aux associations volontaires soit d’ouvriers seuls, soit de patrons et d’ouvriers. Le conseil d’encouragement établi par l’assemblée pour surveiller l’emploi de ce crédit proclame aujourd’hui que « le rôle de l’état dans le travail national n’est que secondaire et de beaucoup inférieur à celui des travailleurs eux-mêmes, que le travailleur doit être fils de ses œuvres, et que c’est surtout par ses propres efforts qu’il doit acquérir l’instrument de son travail. » Nous nous associons complètement à cette doctrine fort à propos contresignée par M. Tourret. — Aide-toi, le ciel t’aidera ! — Il n’y a que M. Louis Blanc qui ne trouve pas cette maxime assez philanthropique, et prétende à toute force se montrer plus clément que le ciel lui-même pour l’humanité embourbée.

L’argent qu’on a jeté quatre mois durant aux ouvriers enrégimentés dans de stériles travaux eût été tout autrement productif, si on l’eût employé à soutenir ou à suppléer les intermédiaires essentiels des transactions commerciales, les établissemens de crédit. Le crédit passait par malheur, au lendemain de février, pour l’abomination de l’exploitation ; le crédit était honni et brisé presque systématiquement, comme le levier de cette anarchique concurrence dont on ne voulait plus. Le crédit a succombé, et ce n’était pas le triste comptoir du Palais-National qui pouvait le soutenir. Le gouvernement va chercher, nous n’en doutons pas, à vivifier l’escompte, maintenant qu’il comprend que l’escompte ne profite point à l’entrepreneur sans que le profit ne descende jusqu’à l’ouvrier. Déjà le décret du 4 juillet a doté de 5 millions, soit en numéraire, soit en garantie, le sous-comptoir de l’industrie du bâtiment. Le comité des